Jim West avait une idée fixe: faire un disque avec Oliver Jones. Ce soir, l'étiquette Justin Time fête ses 25 ans en clôture du Festival... avec devinez qui en tête d'affiche.

Jim West ne voulait pas d'une étiquette de jazz: il voulait produire un disque d'Oliver Jones. En 1983, à presque 50 ans, le pianiste montréalais n'avait pas encore enregistré en solo.

«Après avoir vu Oliver jouer au Biddle's, j'étais convaincu de son potentiel», raconte Jim West, l'ancien directeur de tournée du groupe Mahogany Rush, qui avait lancé sa société de distribution (Fusion III) six mois plus tôt.

West, le «Rhodésien de Westmount» –du titre rigolo de ses amis du duo Bowser & Blue–, et Jones, l'enfant prodige de la Petite Bourgogne qui avait toujours vécu dans l'ombre d'Oscar Peterson, s'apprivoisent et en viennent bientôt à un compromis. Le pianiste enregistrera sur l'étiquette de West mais en trio d'abord, avec ses comparses du Biddle's –Charlie Biddle à la contrebasse et Bernard Primeau à la batterie– et son premier disque solo suivra.

Ainsi naît Justin Time, du nom de Justin West, le fils de Jim, qui a alors deux ans, un an de moins que le Festival de jazz. Il s'agit du premier label jazz de l'industrie québécoise, dont le fleuron indépendant de l'époque est Kébek Disc. «Une merveilleuse compagnie», dira Jim West de la maison fondée par Guy Latraverse et Gilles Talbot, le premier président de l'ADISQ (1978). Les majors du temps s'appellent Columbia (CBS), Capitol (EMI), Polydor (Phillips), Barclay, London. Au Canada, Sackville Recordings est la seule étiquette de jazz, avec les Sonny Greenwich, Fraser MacPherson et Jay McShann.

Live at Biddle's Jazz & Ribs, le premier disque de Justin Time, se vend bien, tout comme The Many Moods of Oliver Jones, sorti en 1984. À ce jour, M. Jones compte 17 titres dans le catalogue Justin Time. En 25 ans, c'est pas mal... Et c'est sans compter les collaborations et les duos, comme celui qu'il vient d'enregistrer avec le vénérable Hank Jones (sortie: 2009). Mais son apport ne s'arrête pas là : le pianiste est aussi à l'origine de la venue chez Jim West de la chanteuse Ranee Lee (11 titres) et du Montreal Jubilation Choir (11 titres).

Tout ce monde sera sur la scène de Wilfrid-Pelletier pour la fête d'anniversaire de ce soir, à l'exception, bien sûr, des regrettés Charlie Biddle, mort en 2003, et Bernard Primeau, en 2006. Aussi à l'affiche: Yannick Rieu, Bryan Lee, Lorraine Klaassen, Coral Egan et le duo Dawn Tyler Watson/Paul Deslauriers. La soirée sera animée par Katie Malloch de CBC Radio 2 et par le chanteur Luck Mervil.

Le «bras américain» de Justin Time, peu représenté ce soir, aligne par ailleurs des noms comme D.D. Jackson, un pianiste canadien qui vit à New York et qui a contribué à la venue d'artistes comme le saxophoniste David Murray et le World Saxophone Quartet.

«Quand il y a du bruit autour d'un nom, les gens nous appellent», dira Jim West, ajoutant que tous ses collaborateurs, comme Jean-Pierre Leduc en Europe, font du «A & R» (Artist & Repertoire), une expression fourre-tout qui désigne entre autres le dépistage de nouveaux talents et les relations entre lesdits artistes et la compagnie de disques. Ou de distribution.

Simon Fauteux est responsable du marketing et de la promotion de Justin Time et de Fusion III, qui fait la distribution de quelque 150 regroupements de labels au Québec avec un inventaire actif de 40 000 titres (les plus actifs étant ceux du DJ néerlandais Tiesto). Depuis le début du Festival, Fauteux s'est «occupé» d'une quarantaine d'artistes ou de groupes, d'Intakto à Catherine Russell, des Européens de «l'Hommage à Léo Ferré» à Harry Manx. «André Rhéaume, de Radio-Canada Vancouver, m'avait appelé pour me dire que Harry Manx –qui avait sa propre étiquette (Dog My Cat)– se cherchait un deal de distribution. Je suis allé rencontrer Harry en Ontario et on s'est tout de suite entendu...» Simon Fauteux a maintenant le plaisir de «s'occuper» de Harry Manx et de la promo de ses disques, tel le magnifique Mantras for Madmen, vendu ici à 12 000 exemplaires. Et il en doit une à Rhéaume...

Ils vont, ils viennent... En 1993, avant de s'ouvrir à la world music, Justin Time (230 titres) a lancé une jeune chanteuse du nom de Diana Krall, vite partie chez un major américain. «On ne pouvait pas accoter Universal», se souvient Jim West, qui n'en garde pas la moindre amertume.

Aujourd'hui, l'industrie est en difficulté, mais pas plus ici qu'ailleurs... «Personne ne sait dans quoi et comment s'engager. Il y aura des fusions, des regroupements de services comme chez Spectra, un modèle du genre. »

«Moi, j'ai confiance. Je reste ici parce que Montréal a cette qualité indispensable à ceux qui font mon métier : l'ouverture.»

25e anniversaire Justin Time: A Night to Remember, ce soir 19 h 30 à la salle Wilfrid-Pelletier.