Depuis le début de sa carrière encore jeune, Camille a fait boum chez les francofous de toutes espèces, et plus encore. Bien au-delà de la France dont elle est issue, on aime la facture excentrique et multipolaire de son approche vocale, remarquable sur Music Hole, son plus récent album dont la version sur scène a déjà ébloui l'Europe.

Camille Dalmais, 30 ans, pige partout où elle passe: soul, gospel, doo-wop, R&B, folk, pop, chant choral, musiques répétitives, musiques populaires brésiliennes, polyphonies vocales de multiples souches, chant classique, hip hop, percussions vocales et corporelles. À la suite des Bobby McFerrin, Bauchklang, Björk (dans ses recherches a cappella) et autres Meredith Monk, la chanteuse française peut prétendre apporter une contribution probante au renouvellement de l'art vocal.

Pour en arriver là, c'est-à-dire à une vraie carrière internationale mise en orbite en quelques années seulement (son premier album, Le Sac des filles, fut lancé en 2002), Camille dit avoir beaucoup écouté... et s'être beaucoup écoutée.

«Je vais où je veux aller, puis je travaille dans cette direction. Je préfère cette approche à l'accumulation de données techniques sans savoir quoi en faire, sans tracer mon chemin», résume l'interprète, auteure, compositrice, réalisatrice, leader d'orchestre, visionnaire de surcroît.

En cela, la Parisienne justifie sa formation quasi autodidacte.

«Avant de choisir définitivement ce métier, j'avais rencontré quelques profs de chant. Mais je crois que ça ne s'apprend pas; pour moi, le chant est un voyage sensoriel que l'on fait soi-même. J'ai eu parfois besoin de guides ou d'une écoute extérieure, j'ai rencontré des gens, mais j'ai surtout avancé moi-même en travaillant seule.»

Music Hole est sorti au printemps dernier, cet album est la suite logique du Fil, un album superbe dont elle avait magnifié sur scène le répertoire, aux Francos de 2005. On se souvient encore de ce spectacle éblouissant, de facture à la fois organique et numérique, performance où la voix de la chanteuse était mise en boucle et devenait polyphonique en temps réel.

«J'espère que cette suite n'est pas trop logique!» de répliquer la principale intéressée lorsqu'on lui suggère cette observation.

«C'est la suite de mes recherches, convient-elle néanmoins. J'ai approfondi mon travail avec des artistes comme Sly Johnson et le groupe (brésilien) Barbatuques, qui m'ont beaucoup stimulée. De plus, j'ai arrangé et réalisé ces chants polyphoniques en collaboration avec le pianiste Majiker. Pour la rythmique de Music Hole, j'ai préféré utiliser les mots au beatbox humain - qui consiste à imiter la batterie et les instruments de percussions. Ainsi, les mots sont devenus la matière des rythmes. Pour les percussions corporelles, j'ai invité en studio le fondateur de la formation brésilienne Barbatuques, Fernando Barba, et le chanteur principal du groupe, Marcelo Preto.»

Est-il nécessaire d'ajouter que Music Hole est le résultat d'un travail personnel soutenu et d'intenses expérimentations vocales. Elle raconte le processus: «J'ai fait un petit détour par le chant choral, j'ai étudié Benjamin Britten, j'ai écouté beaucoup de chant religieux. Par le fait même, j'ai travaillé ma voix de soprano – parce que lorsqu'on fait de la chanson, on a tendance de rester proche de la voix parlée. Tout ce travail m'a permis de développer plein de jeux sonores et d'ainsi libérer ma voix. De plus, j'ai beaucoup dansé, ce qui a procuré pas mal de rythme à mon chant.»

Music Hole, estime Camille, se veut la synthèse d'un chapitre très créatif de son existence.

«C'était ambitieux et je suis assez contente du résultat. Car j'ai construit une bonne base de travail pour les années à venir, on trouve dans ce disque les germes de mes prochaines créations. Music Hole fut un laboratoire qui m'a fourni des pistes. Ces pistes feront naître autre chose, me mèneront à d'autres rencontres.»

Déjà, le nouveau spectacle de Camille a fait évoluer le concept; la chanteuse s'amène avec le pianiste Majiker, deux choristes féminines, deux beatboxers humains et deux spécialistes de la percussion corporelle. «Il n'y a donc aucun instrument sauf le piano. Pas non plus d'échantillonneur numérique; plutôt que de reprendre ma voix en boucle, je voulais travailler avec d'autres voix que la mienne, des énergies humaines en interaction. Ce qui donne plus de latitude dans le tempo et les dynamiques.»

À peine connue lors de son premier passage à Montréal il y a cinq ans, Camille s'est rapidement imposée parmi les artistes les plus singuliers.

«Ascension rapide? Je ne m'en rends pas compte. J'avance à mon rythme, j'ai plutôt l'impression d'apprendre beaucoup de choses. Tout est relatif, vous savez; certains musiciens créent trois albums par an, d'autres en avaient déjà dix à mon âge.»

Depuis qu'elle a travaillé au sein de l'ensemble Nouvelle Vague (qu'elle a laissé vu ses activités trop intenses en solo), Camille s'exprime en anglais comme dans sa langue d'origine.

«C'est un choix conscient, c'est aussi un chois d'instinct. Car l'anglais est aussi ma langue au même titre que le français. L'anglais me constitue comme le français. Je sais que le Québec lutte pour conserver la langue française mais je ne suis pas dans cette problématique. Je suis Européenne et je vois comme une grande richesse le fait de parler plusieurs langues, de partager plusieurs cultures. Je n'y vois rien d'antinomique ou de menaçant. Le français et l'anglais me correspondent de façon différente et font appel à des choses différentes, aussi bien sur le plan de la personnalité que de l'imaginaire. C'est vrai que les langues sont des instruments de pouvoir mais... puisque je suis musicienne, je ne vois pas les choses comme ça.»

Camille, par ailleurs, dit très bien s'entendre avec le public anglais.

«J'étais allée en Grande Bretagne avec Nouvelle Vague, je suis déjà allée quatre fois avec ce nouveau projet solo. Le public anglais est très aiguisé, réactif, acerbe, direct. Ça peut aller dans un sens comme dans l'autre. Il est d'ailleurs très intéressant de voir comment les cultures réagissent et comment elles suscitent chez moi des réactions différentes.»

Et Camille ne compte pas se limiter à deux grands groupes linguistiques: déjà, elle a conquis des publics d'Allemagne, d'Angleterre, d'Italie, d'Espagne, du Québec, bientôt d'Australie et du Japon.

Happée par le succès? Elle infirme: «Le succès ne me happe pas. Chanter est d'abord un plaisir.»

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Camille se produit jeudi soir, à 21 h, au Métropolis. Sa performance sera précédée de celle de Thomas Hellman.