C'était le 24 juillet 1987, au Spectrum: le duo français les Rita Mitsouko donnait son premier spectacle à Montréal. Vingt et un ans et trois jours plus tard, le Spectrum n'existe plus et Fred Chichin, guitariste, compositeur et moitié discrète du duo, est mort du cancer il y a huit mois.

Au Métropolis, hier soir, Catherine Ringer, chanteuse débridée, danseuse exceptionnelle et moitié extravertie des Rita, s'est produite seule. Comme une grande. Comme une forte. Comme Catherine Ringer. Un autre spectacle mémorable des Rita Mitsouko a bel et bien eu lieu, malgré la mort.

L'émotion était palpable au début du spectacle - qui était en outre le tout dernier de cette tournée intitulée Catherine Ringer chante les Rita Mitsouko and more, sur la route depuis un an et demi, avec Fred, puis sans Fred. Et comme pratiquement tous les spectacles du groupe présentés à Montréal, c'est le dernier disque lancé - en l'occurrence Variety, cette fois - qui était au coeur du concert.

Coiffée d'un chapeau qui va bientôt «revoler» et d'un imper rayé, Catherine Ringer donne le ton immédiatement: elle chante coup sur coup, avec aplomb, sans faillir, L'ami ennemi, Communiqueur d'amour et surtout Rendez-vous avec moi-même, où elle s'arrache pratiquement les cheveux pour danser comme elle seule est capable de le faire.

Plus d'un spectateur ne pourra que remarquer à quel point les paroles semblent toutes de circonstance. Ça n'empêche pas la grande Catherine de jouer de l'harmonica, de faire un doigt d'honneur, de se battre avec son manteau comme s'il s'agissait d'un ennemi personnel, bref, de donner un show rock digne de ce nom. Elle rigole en affirmant que les Rita Mitsouko faisaient la première partie de Céline Dion avant d'entonner Live in Las Vegas et, là, bang, jette tout le monde à terre avec C'est comme ça, un des grands succès du groupe. Le Métropolis devient fou, carrément fou... Et ce n'est pas pendant Terminal Beauty, ni la très disco Ding Dang Dong, non plus que pendant sa Berceuse carrément punk (et aux paroles incroyablement cruelles qu'elle chante à «sa petite tumeur»...) que ça va se calmer.

Pendant deux heures, Catherine Ringer va ainsi faire la nique à la mort, et ce n'est que par très brefs instants qu'elle laisse poindre la lassitude, la tristesse. Quand elle demande soudain «ça va, il me semble?» à la foule faite de très jeunes fans et de fans de la première heure. Ou quand elle replie ses cheveux pour s'en faire une large frange qui dissimule ses yeux pendant qu'elle chante After hours, que chantait Moe Tocker du Velvet Underground avec ses paroles si tristes, si terribles: «If you close the door, the night could last forever»... La porte s'est refermée sur son Chichin, la nuit durera-t-elle?

Pas si on en juge par la Catherine Ringer d'hier, aussi incroyable que d'habitude: sa gestuelle si particulière, ses moues, sa voix incroyable capable de toutes les prouesses, ses grimaces et son besoin de s'enlaidir pendant cinq minutes pour mieux redevenir belle, son éternelle fougue à 50 ans, ses manières de derviche tourneur à longue crinière, sa façon unique de danser du bassin et des hanches, sa sensualité folle, la vie incarnée qui danse sur sa tombe...

Quand elle a chanté Histoire d'a, c'était magnifique: «Les histoires d'amour finissent mal en général... mais pas toujours», a-t-elle précisé. Parfois, elles finissent bien, c'est la vie qui en interrompt le cours, tout simplement...

Alors, c'était l'amour, celui de la foule, celui de Fred, celui de ses quatre excellents musiciens qui la soutenaient du regard et de leur instrument respectif, qui faisait toute la différence du monde. Quand, en rappel, elle a chanté Andy et surtout Marcia Baïla (une chanson de 1984, devenue la chanson de tout le monde depuis) en s'accompagnant à la guitare, c'était encore un geste d'amour.

C'était Fred qui, d'habitude, jouait de la guitare sur ce morceau pendant que sa Catherine dansait comme une folle. Hier, c'était Catherine qui pinçait les cordes et la foule, devenue momentanément hystérique, qui dansait. Il fallait à peine un peu d'imagination pour apercevoir dans l'ombre, à la droite de Catherine, le fantôme souriant du grand Fred Chichin.