Qu'elle joue dans un film d'Almodovar, une comédie d'Alain Chabat ou un obscur film islandais, Victoria Abril crève l'écran. En personne, elle est le charme incarné. Elle ne va faire qu'une bouchée du Théâtre Maisonneuve, se disait-on, avant son spectacle d'hier. Une oeillade, un sourire entendu, et la salle va craquer sans se faire prier.

La foule a succombé, en effet. La salle s'est même levée d'un bond pour acclamer l'actrice devenue chanteuse lorsqu'elle a quitté la scène après environ 90 minutes de spectacle, avant d'y revenir pour un rappel. L'ovation était d'une spontanéité et d'une sincérité qu'on ne voit pas si souvent. Mais la route qui y a mené a été plus ardue qu'on l'aurait imaginée.

Victoria Abril, qui se produisait à Montréal pour la toute première fois, était fort bien entourée. Elle pouvait d'abord compter sur groupe de quatre musiciens, dont deux guitaristes rompus à toutes les déclinaisons du flamenco, un contrebassiste un brin excité et un percussionniste doté d'un bon sens de l'humour - il a même tapé sur sa bedaine molle. Deux époustouflants danseurs, qui poussaient aussi la note à l'occasion, complétaient le tableau.

La star espagnole n'a donc pas été la seule à briller sur la scène du Théâtre Maisonneuve. Même que, par moments, elle peinait à égaler l'éclat de ses accompagnateurs. Durant la première moitié du spectacle, les applaudissements les plus nourris ont même été adressés à ses danseurs.

Victoria Abril, on l'a constaté dès la sortie de Putcheros Do Brasil, son album consacré aux standards de la bossa nova, ne possède pas la plus grande voix du monde. Elle chante juste, elle charme, mais elle n'émeut pas à tous coups.

Hier, alors qu'elle interprétait de grandes chansons françaises adaptées en flamenco, c'est la même chose. Sa façon d'appuyer les «il» dans La vie en rose ou son phrasé syncopé dans La javanaise, par exemple, distrayaient de l'essentiel, c'est-à-dire les mots et l'émotion. Son chant, qui devait se mesurer à des guitares vives ou des tapements de pieds et de mains ne faisait pas le poids.

Les «éroticomiques»

Le vent a tourné après Manha, qui a d'ailleurs été empreinte de cette mélancolie joyeuse toute brésilienne. Et elle a visé dans le mille avec Les nuits d'une demoiselle, chanson très coquine de Colette Renard, qu'elle a livré avec un aplomb et un plaisir absolument délicieux. Ses interprétations de 95 fois sur cent («les femmes s'emmerdent en baisant...», de Brassens) et Fais moi mal («Johnny, Johnny, Johnny», de Boris Vian), furent toutes aussi savoureuses.

C'était l'évidence: le registre «éroticomique» va comme un gant à la belle Victoria. Elle prend alors un malin plaisir à taquiner l'assistance en roulant gracieusement des hanches et en multipliant les oeillades pas du tout discrètes. Des chansons comme celles-là, elle pourrait en rajouter dans son programme sans que personne ne trouve rien à redire. Elle pourrait sans doute même en faire un spectacle complet sans qu'on s'ennuie une minute.

Elle n'a toutefois pas laissé la foule sur cette note légère, hier. Avant de sortir de scène une première fois, elle a bellement interprété Histoire d'amour (Dalida). Puis, au rappel, elle s'est montrée touchante dans Ah! Tu verras, chanson tendre que Nougaro a empruntée à Chico Buarque, et puis Piensa En Mi, qu'elle interprétait déjà dans Talons aiguilles d'Almodovar.