Le concept était simple : Les Misérables, dans sa première production entièrement québécoise de l'adaptation du roman de Victor Hugo, allait présenter sa première médias le 14 juillet, jour de la fête des Français. Qui tombait (juste) le lendemain de la fin du Festival d'été : les caméras étaient libres.

Lundi donc, 18 jours après le début des représentations, grande première où, en théorie, «tout le monde» va... à condition de croire que c'est une bonne idée de s'y faire voir : d'instinct, les vedettes, politiques ou autres, fuient les non-événements. Bon... Si la qualité des personnalités d'un «tapis rouge» est une quelconque indication de celle de l'oeuvre où ce tapis mène, Les Misérables frappe aux portes de l'Histoire. Quand a-t-on vu, réunis dans une même salle de spectacle, le premier ministre et deux de ses ministres, le chef de l'opposition, la chef de l'autre parti, le lieutenant-gouverneur et le maire de la ville? Jamais.

Personne de cette assemblée de prestige - comme de sa contrepartie artistique des Plamondon, Lavoie, Rivard, Dominique Michel et Véronique Cloutier - n'est sorti du Capitole les bras ballants ou décontenancé : ils venaient juste d'assister à un spectacle d'une indéniable qualité.

Qualité scénographique d'abord. Le metteur en scène, Frédéric Dubois, livre ici une version savamment épurée d'un classique (38 000 représentations depuis 1985) souvent applaudi pour ses déploiements scéniques. Ainsi, en 1992, la version montréalaise des Miz avait utilisé la scène tournante du dispositif new-yorkais.

Au Capitole, derrière les barricades, le seul mouvement est celui des combats qui se termineront, funeste decrescendo, par ces morts en rang, malheureux acteurs d'un soulèvement où «le peuple n'est pas venu». «Les Miz, pour moi, c'est d'abord la révolution», nous a dit Jean Charest, féru d'histoire.

Qualité musicale ensuite, qu'incarne au tout premier chef Gino Quilico qui pourrait tenir ces Misérables à lui seul - le baryton montréalais illumine littéralement la scène du Capitole - s'il n'était entouré de tant de talent. On avait déjà une idée de celui de Geneviève Charest, émouvante Fantine; on découvre ici l'heureux potentiel de Sophie Tremblay, une Éponine à la voix si pure qu'on dirait Céline Dion sans les tics.

À souligner : le travail de Claude Soucy, la directrice vocale et musicale, qui a aidé de jeunes acteurs à se «laisser chanter» - en Marius, Carl Poliquin porte de belles promesses - tout en amenant ce collectif d'une trentaine de voix à un impressionnant degré de précision chorale. Par contre, on constate que le chemin est abrupt pour Alexandre de Grandpré dont le Javert ne fait pas le poids dans le face-à-face avec Valjean, ressort dramatique central des Misérables.

Malgré cette réserve, on ne saurait s'étonner de la qualité théâtrale de cette production de 2 h 40 (plus entracte) qui, ne nous le cachons pas, demande un effort au spectateur : les hits sont peu nombreux mais méritent la patience que commande la structure de l'oeuvre. Théâtre chanté, donc, mis en scène ici par un talent qu'a reconnu le Conseil des arts du Canada en décernant en mars à Frédéric Dubois le prix John-Hirsch (il l'a reçu lundi) pour l'originalité de sa vision. Fred Dubois, c'est clair, a fini d'«émerger» : maintenant, il vole. Et haut.

On savait depuis le début que la production du Capitole allait marquer bien des séjours à Québec; on a maintenant la certitude que Les Misérables constitue à lui seul une raison suffisante pour y aller.

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Les Misérables, drame musical inspiré de l'oeuvre de Victor Hugo; au Capitole de Québec jusqu'au 14 septembre; 1 800 261-9903, www.lecapitole.com.