Richard Galliano a ses adeptes à Montréal. Ils ont bondé hier le Théâtre Jean-Duceppe pour l'entendre avec son quartette Tangaria. Ils ont eu ce à quoi ils s'attendaient: de grands virtuoses au goût sûr et raffiné.

On aura d'abord observé que cet immense accordéoniste n'est plus autant collé à l'esthétique de son mentor Astor Piazzolla, dont il a tout de même évoqué l'esthétique, notamment avec une version solo de l'incontournable Libertango. Longtemps, ce grand artiste du Midi a composé à la Astor, conférant à ses compositions des exigences techniques encore plus élevées.

On ne peut dire que Galliano se soit détaché totalement du tango moderne et de ses couleurs jazzy, mais son ouverture aux musiques brésiliennes et vénézuéliennes, ses évocations de l'impressionnisme, son amour pour Bach et pour la chanson française (La Javanaise de Gainsbourg au rappel) illustrent l'étendue de sa palette.

La singularité de son instrumentation est tout simplement remarquable, d'autant plus qu'il a recruté des collègues de sa trempe: le violoniste Alexis Cardenas et le percussionniste Rafaël Mejias, deux Vénézuéliens, ont ébloui la salle lorsqu'ils se sont produits en tandem. Cette maîtrise combinée du violon et des percussions fines (sortes de maracas avec lesquels Mejias a fait de véritables prodiges) restera gravée dans les mémoires de festivaliers.

Ainsi, ce Tangaria de Galliano (qui comprend aussi Jean-Philippe Viret à la contrebasse) allie incandescence et sens du spectacle, mais aussi grande subtilité. La technique de ces maîtres est ici au service de la musique. On peut ainsi vivre des moments plus calmes, des sombres comme des lumineux, on parcourt la gamme entière des émotions. N'est-ce pas l'objet de tout artiste de haut niveau d'en évoquer le spectre entier?

McCoy Tyner

Il faut maintenant aborder un sujet délicat: le vieillissement. Certains, comme le pianiste Hank Jones s'en sortent admirablement, avec grâce et élégance. D'autres, moins. Mardi soir au Théâtre Maisonneuve, les attentes étaient élevées pour McCoy Tyner dans ce projet consacré à l'esthétique de John Coltrane, avec fiston Ravi Coltrane pour invité spécial de son trio. Malheureusement, ce fut plutôt approximatif. On a vu certes McCoy traiter son clavier avec la virilité qu'on lui connaît, mais pas avec sa précision d'antan. Telle qu'il l'a développée depuis les années 50, cette approche pianistique exige une grande implication physique.

McCoy ne s'est jamais imposé par la fluidité mais plutôt par l'originalité d'une technique percussive et des concepts harmoniques qui lui étaient propres. Or, à 69 ans, après avoir eu de sérieux problèmes cardio-vasculaires, il ne semble plus avoir la force nécessaire pour arriver à ses fins; son manque de précision et la cohésion très relative de son trio (le batteur Eric Gravatt n'est plus exactement ce qu'il fut jadis) ont fait en sorte que Ravi Coltrane ne puisse donner son plein potentiel. Résultat: un concert décousu, voire décevant.

Abbey Lincoln

Hier, au même Théâtre Maisonneuve, Abbey Lincoln venait donner son tour de chant. Après une longue introduction de son trio (mené par le pianiste Rodney Kendrick, un musicien des plus originaux), la chanteuse de 77 ans a amorcé sa performance par The Music Is The Magic, dont les rimes étaient interprétées en boucle.

La voix était frêle, on pouvait s'imaginer ce qu'elle avait été, on pouvait applaudir les vestiges d'une technique et d'une expression. On a aussi senti qu'elle était encore une artiste véritable, allumée par des musiciens aussi libres qu'elle le fut sa vie durant. Il fut tout de même touchant d'aller à la rencontre d'une chanteuse et d'une citoyenne afro-américaine aussi marquante qu'Abbey Lincoln.