«La musique ne procure aucune sécurité financière... Ça fait juste 50 ans qu'on me le rappelle !» lance Michel Donato, avant d'échapper un rire étouffé. Le musicien reprend son sérieux. En plus ou moins 50 minutes, il lui faut quand même causer de 50 ans de vie professionnelle, commémorée aujourd'hui et demain au Gesù.

«Je me considère très chanceux d'avoir pu exercer ce métier toute ma vie. Et je ne prendrai jamais ma retraite, tant que mon corps me le permettra. J'ai déjà eu des petits problèmes de santé, je les ai réglés, mais... il faut faire attention.»

Même après 50 ans de jazz et d'autres musiques de qualité (Brel, Aznavour, etc.), même avec le respect qu'il impose à ses collègues et la réputation qu'il s'est taillée auprès des jazzophiles, le grand contrebassiste montréalais sait qu'il n'y a rien d'acquis.

«Quand ça le devient, je finis par trouver ça plate. On a un emploi stable, on est déjà rendus au plafond. Plate. Mon seul emploi, en fait, fut de travailler chez Steinberg, j'avais fait bien des heures pour payer ma première contrebasse – que je me suis procurée en 1956. Je l'ai toujours, elle est restée très bonne, un instrument d'une centaine d'années. L'autre, que j'utilise le plus souvent, a deux siècles d'existence, je l'avais achetée à New York. C'était en 1961, je voulais y rencontrer mon héros de la contrebasse, Scott LaFaro (du trio de Bill Evans)... et qui venait de mourir dans un accident de la route.»

Un demi-siècle plus tard, Donato est bien vivant, en pleine possession de ses moyens. Il faut évidemment fêter ça, le festival de Montréal y a songé.

Le premier concert-célébration a lieu aujourd'hui avec l'accordéoniste Marin Nasturica et le guitariste John Gearey, un CD de ce trio vient d'ailleurs d'être lancé sur étiquette Fidelio.

«On a intitulé ce disque Michel Donato Trio... Personnellement, j'aurais préféré MJM (Marin, John, Michel)... On a enregistré ça vite, il faut dire, mais c'est un enregistrement sympathique. Je crois que ce sera meilleur sur scène car nous reviendrons alors d'une tournée canadienne. Ce trio, en tout cas, est un concept plus accessible que mon groupe avec les «Amis européens» avec qui j'ai enregistré sur l'étiquette Effendi – en passant, j'aimerais saluer Alain Bédard d'Effendi, car je trouve qu'il fait du bon boulot.»

Le second concert, explique le principal intéressé, consiste en une enfilade de duos avec de grands musiciens montréalais. «J'ai fait beaucoup de duos dans ma vie, mais j'ai choisi ceux-là. La chanteuse Karen Young (avec qui j'ai joué longtemps), les pianistes James Gelfand et François Bourassa, les saxophonistes Yannick Rieu et André Leroux.»

Il va sans dire, un demi-siècle de vie professionnel ramène un musicien dans son passé. Les grands moments, Michel ? Celui-ci vient en tout premier : «Avoir joué avec mon idole qui est (le pianiste) Bill Evans. Il m'avait contacté pour être un membre régulier de son groupe, mais... à ce stade de ma carrière, je ne pouvais plus repartir 40 semaines par an car j'avais une famille, il me fallait être plus présent. Bill avait alors embauché Marc Johnson, plus jeune et plus disponible.»

Au second rang des meilleurs souvenirs, Michel Donato évoque sa collaboration avec Oscar Peterson, à l'époque où il s'était expatrié à Toronto avec sa famille. On ne s'étonnera pas qu'il ait été lauréat du prix Oscar-Peterson, remis par le FIJM à un musicien pour sa contribution exceptionnelle au jazz canadien. «Avec Oscar, j'ai joué plus de deux ans, le temps de faire deux fois le tour de la boule. Le pianiste était un grand perfectionniste, c'en était parfois maladif. Si on dérogeait à peine aux horaires fixés, c'était la crise.»

Au troisième rang vient son expérience au Jazz Hot, célèbre club de jazz à l'étage de la Casa Loma – dont l'immeuble fait toujours face aux Foufounes Électriques.

«C'était une grande époque ! Pendant plus de deux ans, sept soirs sur sept, je faisais partie du trio maison. Nous avions accompagné quelques gros noms comme Zoot Sims ou Sonny Stit. Pendant la pause, c'était Miles Davis, Thelonious Monk, Bill Evans, Charles Mingus, Sonny Rollins...»

Pendant 50 ans, il y a aussi eu des aventures cocasses.

«Un soir, la chanteuse que j'accompagne se présente avec une robe longue qui traîne par terre... Et elle se met alors à arpenter la scène comme un objet téléguidé. Je ris tellement que je m'arrête de jouer ! À la chanteuse, je dis à la fin du set : ne m'appelez plus et ne me payez pas. Je n'ai pas été payé et ils n'ont jamais rappelé, mais j'en ai ri un coup !»

«Un autre soir, le saxophoniste Sayd Abul Al Khabyyr organise un concert et m'embauche. Le pianiste (Fred Henke) et moi sommes en train de lire les partitions, et tout à coup la lumière se met à baisser. Nous sommes bientôt plongés dans le noir, Fred et moi nous arrêtons de lire (et de jouer) en même temps !»

Avant de rejoindre son gros instrument, Michel Donato en souligne le rôle fondamental... par une autre anecdote.

«J'avais 15 ans, un accordéoniste-chanteur m'avait embauché. J'avais beaucoup répété, je m'étais vraiment préparé pour épater M. Sauro. Et voilà qu'on joue Besame Mucho, et je me mets à faire tout ce dont je suis capable. Vrrrr ! La basse est rouge, 300 000 notes. À la fin de la pièce, M. Sauro me dit : «Michel, c'est vraiment impressionnant ce qu'on peut faire sur cet instrument, mais sais-tu quoi ? On a tous deux besoin d'un bassiste !» Je n'ai jamais oublié cette leçon.»

Michel Donato se produit ce soir et demain, 18 h, au Gesù.