L'animateur Réal Giguère s'est éteint à l'âge de 85 ans. Son fils Sylvain a annoncé sa mort sur sa page Facebook.

« C'est avec une immense tristesse, mais une grande sérénité que je partage avec vous une difficile nouvelle. Mon père, Réal Giguère, est décédé aujourd'hui à l'âge de 85 ans. Ce fut un grand homme à bien des égards. J'ai cette citation en tête: "Grâce à tout ce que tu m'as appris, j'ai la force de continuer sans toi...'' », écrit-il.

Il était un pionnier de la télévision privée au Québec

Pour les plus âgés, Réal Giguère est étroitement associé à la naissance du canal 10, l'ancêtre du réseau TVA, première station de télévision francophone du Québec.

Il avait une telle rigueur dans le métier, et de mémoire d'homme on ne l'a jamais vu bafouiller en ondes, de sorte qu'il avait hérité d'une aura de perfection. Réal Giguère était d'une aisance sans pareille à la caméra, et savait comme nul autre toucher un auditoire.

Il est né le 24 mai 1933 à Rosemont dans une famille ouvrière. Il avait deux frères et une soeur.

Malgré les modestes moyens des siens, il entreprendra de solides études d'abord à l'École Brébeuf, puis au Collège Stanislas. Ensuite il s'inscrit à l'université dans une discipline toute nouvelle alors, les relations industrielles. Mais c'est le monde des communications qui le retiendra à jamais. Il décroche un premier boulot comme annonceur à la radio CJSO à Sorel. Il en profitera pour amasser suffisamment de sous pour entreprendre ensuite un voyage qui le mènera quelques semaines en Europe. Et au retour il tiendra le micro à Montréal à la radio de CHLP.

Animateur vedette à CKAC

Son talent particulier retiendra l'attention des patrons de CKAC qui l'inviteront à travailler chez eux. C'est l'ère du vedettariat qui commence. Nous sommes en 1955. En compagnie de Jean Duceppe, il coanimera une émission culte à l'antenne Du pep avec Duceppe. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, il n'a pas fait ses débuts télévisés à Télé-Métropole, mais bien à Radio-Canada en 1957 au service des sports dont un de ses frères était directeur du service. Il animera successivement Télé-sports et L'heure des quilles. Ce n'est que quatre ans plus tard qu'il débarque au canal 10 dès la première semaine de diffusion. On le voyait partout. Il expliquait son omniprésence par le fait qu'il était une machine à idées dans un univers qui était propice à la création, vu les maigres ressources de cette nouvelle télévision. Il sera autant à la barre de plusieurs émissions que pour des réclames.

Longtemps il sera associé comme le porte-parole officiel de la Plaza Saint-Hubert. Des méchantes langues mettront cette visibilité un peu excessive sur le fait que son autre frère Roland était le président de Télé-Métropole. Mais Réal Giguère s'en défendra aisément, racontant que c'est plutôt ce frère gênant qui faisait obstacle à bien de ses projets pour éviter justement qu'il y ait une overdose du frérot au petit écran.

Divorce et remariage

Réal Giguère n'était pas le favori des journalistes, car ce signe du zodiaque Gémeaux avait deux vies bien distinctes, celle publique, et l'autre très privée, qu'il verrouillait totalement. De sorte qu'il ne se prêtait en aucune façon aux potinages qui auraient pu alimenter la manchette de la presse artistique. Ce qui lui vaudra d'être lauréat à trois reprises du prix Citron décerné par le magazine TV Hebdo comme l'être le plus désagréable avec les médias.

Si son premier mariage aura été un échec pour cause de trop plein de travail, il se remariera en 1961 avec un ancien mannequin, Paulette Gingras avec qui il finira ses jours dans la plus parfaite harmonie. Elle agira comme sa secrétaire, tapant à la machine à écrire les scribouillages de son mari.

Réal Giguère a eu deux enfants, Sylvain né de la première union et une fille, Magali.

Gros jambon

Réal Giguère a laissé une contribution signification à la culture kitsch québécoise avec une interprétation d'une chanson qui marquera longtemps l'imaginaire collectif, Gros jambon. Tout ça est parti d'un sketch à l'émission Dix sur dix où il incarnait un mineur. La chanson qui s'ensuivit connut un tel succès qu'il s'en est vendu 300 mille copies. Elle a même figuré au premier plan du palmarès.

La même année de 1962, c'est la consécration. Il arrache le titre de Monsieur Radio-Télévision.

L'apport de Claude Blanchard

Un de ses acolytes à l'émission Réal Giguère illimité est Jean Morin qui faisait office de recherchiste. Il lui présente Claude Blanchard, qui va diriger vers Giguère tous les comédiens issus de l'univers du burlesque, les Juliette Huot, Juliette Pétry, Léo Rivet, La Poune. Toute une brochette de comédiens au naturel confondants, qui savaient improviser et qui limitaient de ce fait les temps de répétitions. Car les comédiens des téléthéâtres de Radio-Canada snobaient le canal 10, jusqu'à ce que les cotes d'écoute fracassantes de la télé privée viennent à bout de leurs résistances.

Concepteurs et scénariste d'émissions

Si les émissions de l'animateur vedette ne se comptent plus, allant Des matins de Réal à Jeopardy, puis Galaxie, en passant par Madame est servie, c'est aussi dans les coulisses qu'il assurera sa totale domination.

En 1967 il est l'auteur du téléroman Lecoq et fils, puis ce seront Amour, délices et cie, Dominique (avec Dominique Michel dans le rôle principal), Métro-boulot-dodo, Le ranch à Willie et L'Or du temps.

Giguère a été le premier à exploiter des thèmes inédits à la télévision, qui remueront l'opinion publique, quand ils ne choquaient pas littéralement, comme la consommation de drogue. En effet, dans L'Or du temps, il y a une scène où l'on voit le personnage de Jackie qui « sniffe » de la cocaïne avec son amant. Du jamais vu ici à la télé.

Maraudage de Radio-Canada

La direction de Radio-Canada avait entamé des négociations secrètes avec lui pour l'amener à la Société d'État. Et le pressenti avait été tenté. Il était mécontent de ses conditions pécuniaires à Télé-Métropole. Il avait beau avoir un frère président, business as usual. Mais la nouvelle avait été éventée et c'est précipitamment que la direction des programmes du canal 10, Robert l'Herbier en tête, offrira un pont d'or pour qu'il demeure dans la maison.

Mais on n'achetait pas Réal Giguère. Il voulait assurer son indépendance ailleurs en affaire, mais il connaîtra une malheureuse expérience dans un grand projet immobilier au centre-ville de Montréal où il perdit énormément d'argent. On a même craint pour son équilibre. Par ailleurs, c'est indirectement en raison d'un différent avec Dominique Michel qu'il claquera la porte du 10, pour ne revenir que des années plus tard.

Son impatience était légendaire, et il ne pardonnait pas la médiocrité. Pour lui, seul comptait la qualité de sa livraison en ondes. C'était un intervieweur remarquable qui parvenait à arracher les vers du nez en douce « Aujourd'hui, disait-il, on agresse trop vite en partant les invités qui se braquent. Moi j'ai toujours commencé en douce pour en arriver à poser la vraie question et obtenir la réponse que je souhaitais ».

Il prit sa retraite définitive à la fin des années 1990 pour ne plus jamais revenir. Il fera une sortie spéciale pour les 50 ans du réseau TVA en accordant une entrevue remarquable à Éric Salvail.

Pour expliquer son retrait définitif, il confiera à ce dernier que c'est un cancer de la prostate qui lui avait enlevé toute énergie en raison d'un traitement à l'hormonothérapie. On lui avait enlevé une grande partie de son taux de testostérone. Il préféra demeurer chez lui et vaquer à ses deux occupations favorites, la lecture et la cuisine.

Hormis le monde de la télévision, il adorait faire le comédien. Il aura joué dans le film Caïn qui ne passera pas à l'histoire du septième art, puis sur scène dans la Cage aux folles qui connut un vif succès. Son seul regret a été de refuser une offre du Centre National des Arts d'Ottawa pour jouer l'Avare de Molière. Il aurait tant aimé jouer un jour un classique du répertoire. Mais son nom est à jamais inscrit au Panthéon de la télévision québécoise.