En deux saisons, Dix pour cent, connue au Québec sous le titre d'Appelez mon agent, est devenue une série populaire suivie sur France 2 par plus de quatre millions de fidèles. Une adaptation québécoise, pilotée par Sophie Lorain, sera diffusée à TVA en 2019. À quelques semaines du début de la saison 3 en novembre, La Presse s'est infiltrée dans les coulisses des agences artistiques montréalaises.

UN MÉTIER ENCORE JEUNE

À la fin de sa vie, la comédienne Janine Sutto s'inquiétait lorsque son agente, Camille Goodwin, partait quelques semaines en vacances. Même si la doyenne du théâtre et de la télévision ne travaillait plus, elle appelait au bureau de l'agence pour savoir quand «Camille» rentrerait de voyage. «Elle n'avait pas besoin de mes services, mais de me savoir au bureau la rassurait dans son coeur. Janine voulait simplement m'entendre lui dire: "Ne t'inquiète pas, je suis là"», explique Camille Goodwin.

Le métier d'agent d'artistes est en fulgurante expansion au Québec. Lorsque l'Association québécoise des agents d'artistes (AQAA) a été créée, en 1995, elle avait cinq membres. Aujourd'hui, elle en compte 32, et il y a une vingtaine d'autres agences qui n'en font pas partie. Pas mal, pour un métier qui n'existait pas il y a 50 ans.

Au début de sa carrière, comme presque tous les artistes dans les années 70, Michel Tremblay n'a pas d'agent. Et il est un piètre homme d'affaires. Lorsque le propriétaire du Jardin des Étoiles lui demande de prolonger les représentations de la comédie musicale Demain matin, Montréal m'attend, il accepte tout de go... sans demander plus d'argent. «Si une troupe amateur m'appelait pour monter une de mes pièces [et les théâtres amateurs sont une importante source de revenus pour un auteur], je leur donnais les droits en leur demandant de ne rien dire à personne», se souvient Tremblay, en riant de sa candeur juvénile.

Heureusement, en 1971, l'auteur des Belles-Soeurs fait la connaissance de John Goodwin, pionnier du métier d'agent d'artistes au Québec. Ce dernier lui offre ses services. «L'année suivante, j'avais multiplié mes revenus par 10!», s'exclame-t-il. Aujourd'hui, Tremblay est le plus ancien client de l'Agence Goodwin, reprise par la femme du fondateur, Camille Goodwin, et ses deux filles, Marie-Claude et Nathalie.

Le rôle de l'agent

Selon la définition qu'en donne l'Association québécoise des agents d'artistes, un agent s'occupe de «gérer la carrière d'artistes et de leur trouver du travail en les représentant auprès des producteurs et des gens du milieu culturel». Il doit se tenir «à l'affût de tous les projets de production en préparation dans le but de présenter aux artistes qu'il représente des occasions d'engagement». Il négocie leurs cachets et leurs contrats, en plus de s'occuper de leur agenda, des relations avec les médias et de la promotion de leurs talents.

Un agent conseille aussi ses clients sur toute question relative à leur image publique et à leur carrière. Dans le succès comme comme dans l'infortune.

«Quand j'ai ouvert mon agence, je gérais la [toute jeune] carrière d'Ève Landry, raconte Marc-André Globensky. C'est une femme extrêmement timide. Et du jour au lendemain avec Unité 9, Ève est devenue une vedette connue partout au Québec. Il fallait l'aider à garder les deux pieds sur terre. Et Ève a bien géré son succès instantané.»

Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus dans le merveilleux monde du showbiz. Lorsqu'un acteur ne travaille pas assez, la première personne qu'il va blâmer, c'est son agent. «Parfois, un artiste que je représente depuis longtemps débarque dans mon bureau pour me dire qu'il s'en va ailleurs, que je n'en fais pas assez pour lui. Et je lui montre tout ce que mon équipe a fait depuis des mois. Il faut savoir être patient. Il y a des hauts et des bas.»

L'art de négocier

Parmi les tâches d'un agent, l'art de négocier les cachets et les conditions de travail de ses talents est précieux. «Un bon négociateur doit faire en sorte que les deux côtés soient contents, dit Maxime Vanasse, qui a fondé l'Agence MVA en 1989. Je dois aller chercher le maximum de ce que je peux avoir sans brusquer l'autre, sinon les négociations tournent au vinaigre.» 

«C'est beau, avoir le sens des affaires, mais ça prend surtout du flair et le sens des relations humaines, pour savoir dire les choses sans blesser les gens.»

Lorsqu'on regarde la série Dix pour cent, on a l'impression que les agents décident à la place des artistes des rôles et des projets. «La décision d'accepter ou pas un contrat doit venir de l'artiste, explique Camille Goodwin. S'il n'a pas envie de faire un projet que tu lui imposes, à long terme, ça nous rattrape et ça va causer des problèmes. Il faut dialoguer avec eux et être à l'écoute de leurs envies et leurs désirs.»

Par essence, l'artiste est une créature qui doute et qui a besoin de se faire aimer. Ce qui ne constitue pas les meilleurs ingrédients pour négocier avec des producteurs. «D'un autre côté, un artiste ne peut pas dire oui à tout le monde, explique Marc-André Globensky, qui a lancé son agence en 2007. Il doit pouvoir répondre aux attentes et ne pas tomber malade. L'agent l'éclairera dans ses choix. Je suis là pour les motiver, mais aussi pour leur donner l'heure juste.»

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Assise à son bureau, à l'étage d'une belle maison victorienne rue Sherbrooke, Camille Goodwin peut, à tout instant, jeter un coup d'oeil au mur de photos de quelques-unes des vedettes qui font partie de son agence, la plus ancienne du Québec. Les Anne Dorval, François Arnaud, Maude Guérin, Serge Denoncourt, Xavier Dolan, Anne-Élisabeth Bossé... L'agence représente environ 150 artistes en théâtre, télévision et cinéma.

Par-delà le vedettariat et les caprices de stars, les agents et leurs artistes forment une grande famille élargie. «En général, nous n'aimons pas beaucoup nous mettre de l'avant, dit Nathalie Goodwin, qui dirige l'agence avec sa mère et sa soeur, Marie-Claude. Voilà d'ailleurs une des différences entre le métier d'agent en France et celui d'agent ici.»

À l'entrée de l'Agence MVA, avenue Laurier Ouest, Maxime Vanasse pose aussi devant son mur de «célébrités». Pascale Bussières, Julie LeBreton, Geneviève Brouillette, France Castel, Kevin Parent, Patrice Robitaille...

Comme chez les Goodwin, son agence est une affaire de famille. Il travaille avec sa conjointe et ses enfants. Sa soeur Marie Vanasse, qui s'est éteinte en 2009, a lancé l'agence avec lui. Bien avant Dix pour cent, Marie a eu l'idée de faire une série sur les agences d'artistes et leurs «talents», avec des acteurs jouant leur propre [faux] rôle, se souvient Maxime Vanasse. «Marie notait sur des bouts de papier toutes les anecdotes farfelues qui se passent au bureau. En se disant que ça pouvait faire du bon matériel pour une fiction...»

Malheureusement, un cancer l'a emportée à 48 ans et le projet de Marie n'a pas vu le jour. Mais l'une des artistes de l'Agence MVA, Sophie Lorain, réalisera avec Alexis Durand-Brault Les invisibles, l'adaptation québécoise de Dix pour cent qui sera présentée à TVA l'an prochain. «Sophie a passé une journée à l'agence à fouiller dans la boîte à idées de Marie», dit Maxime.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Marc-André Globensky, de l'Agence Globensky

Agent «psychologue»

Comme un bon psychologue, l'agent doit avoir beaucoup d'écoute et d'empathie envers les talents qu'il représente. C'est la base du métier. «Un artiste forme sa propre entreprise. Pour bien gérer sa carrière, tu dois ternir compte de sa vie personnelle, dit Nathalie Goodwin. Un agent finit par savoir si ça va mal dans la vie d'un artiste. Pas par curiosité malsaine, mais parce qu'il doit le protéger et l'encadrer si les choses vont moins bien. La porte de l'agence est toujours ouverte.»

«Pour bien désamorcer une situation de crise, un agent doit se mettre dans la peau de l'artiste, explique M. Vanasse. Cela implique parfois d'aller dans des zones personnelles, la vie privée. Depuis 29 ans, j'en ai vu, des situations de crise. Je suis habitué, mon père était dans les relations publiques. Dans ces situations, tu ne peux rester silencieux et te mettre la tête dans le sable.»

LA FICTION DU MÉTIER

Tous les agents rencontrés par La Presse adorent Dix pour cent, bien qu'ils ajoutent que la série est exagérée, «proche de la parodie». Il y a aussi la différence entre Paris et Montréal, le milieu artistique français et le nôtre. «Au Québec, on juge un acteur sur la dernière chose qu'il a faite, bonne ou mauvaise. En France, on regarde l'ensemble de sa carrière», résume Marc-André Globensky.

C'est ce qui explique qu'on a parfois l'impression de toujours voir les mêmes visages au petit écran. Il est difficile, pour un acteur, de refuser un rôle dans une série populaire, s'il craint de tomber dans l'oubli. Un agent sert aussi à combler les insécurités de ses clients.

De plus, il y a des vedettes au Québec, mais pas de star-système. Le milieu est plus accessible qu'en France. 

«À Paris, en plus de leur agent, les vedettes ont un attaché de presse, un assistant personnel, un maquilleur personnel, etc. Elles arrivent avec leur équipe, leur entourage», explique Marie-Claude Goodwin, de l'Agence Goodwin.

Au Québec, l'agent gère l'ensemble de la carrière de ses poulains.

Autre contraste avec l'Hexagone: la compétition entre les agents et le maraudage des stars entre les boîtes. «Ça n'existe pas ici. Si on se place dans des positions de conflit, on va nuire à nos clients», dit Camille Goodwin.

D'ailleurs, il y a un code de déontologie pour les agences membres de l'AQAA: «Interdiction de solliciter un artiste déjà représenté par un autre agent; et de dénigrer le travail d'un autre membre de l'Association.»

Le milieu est petit au Québec, et la loyauté est d'or. «On ne peut pas se permettre de briser le lien de confiance, de faire des manigances, si on veut négocier après avec des producteurs et des diffuseurs», conclut Maxime Vanasse.

Quel pourcentage?

Si, en France, il y a toujours une somme statutaire de 10 % en sus du contrat, la cote des agents n'est pas la même en Amérique du Nord. Les pourcentages varient entre 5 % et 15 % au Québec, en fonction des agences et des secteurs d'activités (publicité, théâtre, doublage). Aux États-Unis, un agent peut obtenir jusqu'à 20 % du cachet.

À ne pas manquer

> Dix pour cent (Appelez mon agent), saison 3, en novembre sur France 2 et sur ICI TOU.TV Extra

> Les invisibles, version québécoise réalisée et produite par Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault. À l'hiver ou à l'automne 2019, à TVA. La première saison comprendra 24 épisodes d'une heure. Elle met en vedette Bruno Marcil, Karine Gonthier-Hyndman, Benoit Mauffette et Danièle Lorain.

> Un livre sur la série française, publié chez Albin Michel, vient aussi de sortir.

QUELQUES-UNS DE LEURS «TALENTS»

Agence Maxime Vanasse (MVA)

Pascale Bussières, Hélène Bourgeois-Leclerc, Julie Le Breton, Geneviève Brouillette, France Castel, Sarah-Jeanne Labrosse, Sophie Lorain, Mariloup Wolfe...

Patrice Robitaille, Guillaume Cyr, Pier-Luc Funk, Kevin Parent, Louis Morissette, Vincent-Guillaume Otis, François Létourneau, Gabriel Arcand, Jean-Philippe Wauthier...

Agence Goodwin

Anne Dorval, Monia Chokri, Ludivine Reding, Maude Guérin, Évelyne Brochu, Anne-Élisabeth Bossé, Mélissa Désormeaux-Poulin, Christiane Charrette, Marie-Claire Blais...

François Arnaud, Éric Bruneau, Olivier Dion, Guy Jodoin, Alexandre Landry, Marc Messier, Denys Arcand...

Agence Globensky

Antony Kavanagh, Yves Desgagnés, Félix-Antoine Duval, Jean-Simon Traversy, Julie Vincent, Cynthia Wu-Maheux...

Photo Olivier Jean, La Presse

Maxime Vanasse, de l'Agence MVA