Artistes et toponymie: à l'intersection des rues La Bolduc et Anne-Hébert

La Presse a voulu savoir quelle place occupent les chanteurs, musiciens, peintres, cinéastes et autres artistes québécois dans la toponymie officielle du Québec. Voici ce que nous en avons retenu.

87

Quel est l'artiste qui a le plus souvent donné son nom à des rues, parcs, avenues et autres lieux géographiques québécois? Sans surprise, Félix Leclerc est ce champion, selon nos recherches sur le site de la Commission de toponymie du Québec. Lorsqu'on tape son nom complet dans la barre de recherche, on obtient 87 occurrences. Mais attention, fait remarquer le porte-parole de la Commission, Jean-Pierre Le Blanc. Chacun des 40 tronçons de l'autoroute Félix-Leclerc traversant une municipalité équivaut à une occurrence. Mais même en regroupant ces 40 occurrences en une seule, le grand auteur-compositeur-interprète est toujours premier. Le 4 juin dernier, la bibliothèque Félix-Leclerc est devenue le 87^e lieu portant le nom du célèbre chanteur et poète.

Secteurs réservés

Au fil des ans, plusieurs municipalités ont baptisé de noms d'artistes les rues de secteurs ciblés à l'intérieur de leur territoire. À Rimouski, par exemple, un secteur regroupe des rues aux noms de chansonniers et d'auteurs. C'est ainsi que la rue La Bolduc fait un lien entre les rues Anne-Hébert et Isidore-Soucy (1899-1963), violoniste et folkloriste. À Montréal, au nord du parc Laurier, les rues Pauline-Julien et Gerry-Boulet se rejoignent. À noter cependant que ces deux rues ne se trouvent pas dans un secteur réservé aux noms d'artistes.

Quelques curiosités

En plus de la plus grande salle de la Place des Arts, l'ancien chef d'orchestre Wilfrid Pelletier (1896-1982) a six rues et parcs à son nom. Ainsi qu'une... montagne. Sis à 65 km au nord-ouest de Baie-Saint-Paul, le mont Wilfrid-Pelletier (945 m) a été nommé dans le cadre d'un programme de désignation toponymique commémorative de 1995. Nous avons trouvé d'autres curiosités dans le site de la Commission: l'impasse Gerry-Boulet à Cantley, en Outaouais, le barrage Albani, du nom de la cantatrice née Emma Lajeunesse, au nord-ouest de La Tuque, ou encore le ponceau Gabrielle-Roy, à Sept-Îles. La ville de Rigaud a même eu une halte routière Olivier-Guimond, rebaptisée Aire de service de Rigaud en 2010.

Un palmarès

Nous avons cherché de nombreux noms d'artistes dans la banque de la Commission. Voici le top 10 de ceux qui reviennent le plus souvent. À l'exception du score de Félix Leclerc, dont la carrière a touché autant la musique que l'écriture, ce sont les artistes des milieux de la littérature et de la peinture/sculpture qui sont les plus utilisés dans la toponymie.

Félix Leclerc: 87

Gabrielle Roy: 29

Émile Nelligan: 26

Marc-Aurèle Fortin: 24

Suzor-Côté: 24

Anne Hébert: 19

Arthur Buies: 17

Paul-Émile Borduas: 17

Jean-Paul Riopelle: 16 

Ozias Leduc: 15

Guy Mauffette?

Remis chaque année, les Prix du Québec, section culture, portent les noms de huit individus associés à des disciplines artistiques: Albert Tessier (cinéma), Athanase David (littérature), Denise Pelletier (arts de la scène), Ernest Cormier (architecture et design), Georges-Émile Lapalme (langue française), Gérard Morisset (patrimoine), Guy Mauffette (radio et télévision) et Paul-Émile Borduas (arts visuels et métiers d'art).

Tous ont deux lieux ou plus à leur nom. Sauf Guy Mauffette. L'animateur de l'émission Le cabaret du soir qui penche n'a pas de lieu à son nom, alors que sa soeur Estelle en a un à Notre-Dame-de-l'Île-Perrot.

«Ma tante a été la première Donalda dans la version radiophonique d'Un homme et son péché que réalisait mon père, indique Loui Mauffette, fils de Guy, qui connaît l'histoire familiale sur le bout des doigts. C'est sûr qu'on serait heureux qu'il y ait un lieu à son nom en guise de reconnaissance, mais nous sommes déjà très heureux qu'un prix le soit.»

Céline et son boulevard non reconnu

À Charlemagne, depuis le 31 janvier 2007, un tronçon de 1,5 km de l'autoroute 640 a été rebaptisé boulevard Céline-Dion en l'honneur de l'enfant chérie de cette petite municipalité. Quelques commerces y ont une adresse: un restaurant Saint-Hubert, une station-service Ultramar, un Lou-Tec, etc. Mais le nom du boulevard n'est pas officialisé par la Commission de toponymie, tout simplement parce que la chanteuse est toujours vivante. En accord avec une résolution adoptée en 2002 à la 8^e Conférence des Nations unies sur la normalisation des noms géographiques, un délai d'un an est prescrit après la mort d'une personne avant que son nom soit attribué à un lieu. En passant, René Angélil, mort le 14 janvier 2016, n'a toujours pas de lieu à son nom, selon la banque de la Commission.

De Fernandel à Victor Hugo

Il existe à Granby une rue Fernandel. Et c'est bien en l'honneur de l'acteur français Fernand Contandin, indique la Commission de toponymie. D'autres artistes et écrivains étrangers, dont le souvenir est davantage gravé dans les mémoires, ont aussi donné leur nom à des lieux. Notons par exemple Victor Hugo (19), Picasso (16), Charles Baudelaire (10), Albert Camus (8), Vincent Van Gogh (6), Jean-Paul Sartre (6), Simone de Beauvoir (3), Claude Monet (3) et John Lennon (2). Il existe aussi une rue Salvador-Dali à Chertsey, dans Lanaudière, et une rue Maria-Callas à Repentigny.

Méthodologie

Le site de la Commission de toponymie est l'outil par excellence pour connaître l'origine des noms. Mais il ne dit pas tout. Par exemple, certains édifices publics ne sont pas recensés (salle Wilfrid-Pelletier, théâtre Denise-Pelletier, cégep Gérald-Godin). La Commission n'officialise ni les noms d'écoles ni ceux de cégeps; d'autres peuvent l'être sur demande. De plus, plusieurs lieux sont désignés uniquement par le nom de famille d'un artiste. On retrouve par exemple plusieurs rues Borduas faisant référence à Paul-Émile Borduas, alors que d'autres rues renvoient à d'autres individus ayant porté le même nom de famille. Pour les besoins de cet article, nous avons uniquement retenu la combinaison prénom-nom, sauf pour les artistes étrangers.