Le gourou Charles Manson, instigateur de sept meurtres crapuleux en 1969, est mort hier à l'âge de 83 ans. Il n'aura rien apporté de bon au monde, mais il aura inspiré les créateurs, pour qui il représentait un symbole de la folie américaine et de la fin de l'innocence des années 60. Paradoxalement, il est devenu une espèce d'icône de la culture pop qui a hanté la musique, le cinéma et la littérature.

Une horreur hollywoodienne

La nature des crimes perpétrés par les disciples de la «Famille Manson» et le contexte culturel dans lequel ils ont été commis expliquent en grande partie pourquoi Charles Manson a accédé à une macabre célébrité. 

Il rêvait lui-même d'être une rock star et avait enregistré ses chansons chez Dennis Wilson, batteur des Beach Boys (qui en reprendront une, Cease to Exist, mais en changeront le titre). Obsédé par les Beatles, il voyait dans le White Album le signe de sa prophétie d'une guerre raciale aux États-Unis. L'une des «filles Manson» écrira «Helter Skelter» sur un mur avec le sang d'une victime, d'après le titre d'une chanson du groupe. 

Le sentiment de rejet de Manson fera en sorte qu'il incitera ses disciples à tuer ceux qui ont «réussi», dans les plus beaux quartiers de Los Angeles. Le 9 août 1969, il voulait se venger d'un producteur en particulier lorsqu'il a envoyé ses disciples au 10 050 Cielo Drive, que venaient d'acquérir le cinéaste Roman Polanski et sa femme, l'actrice Sharon Tate, enceinte de huit mois.

Tous les éléments sont en place pour frapper de terreur les imaginaires, un peu comme si les vibrantes années 60 et le mouvement hippie avaient basculé dans la folie et l'horreur. Comme si elles étaient allées «trop loin», d'autant plus que les meurtres ont été commis entre autres par de jolies jeunes hippies. La journaliste et écrivaine Joan Didion, qui vivait à Los Angeles à l'époque, soulignera dans son recueil d'essais The White Album: «Beaucoup de gens que je connaissais à Los Angeles croient que les années 60 se sont terminées brutalement le 9 août 1969.»

En musique: Marilyn Manson, NIN, Guns N' Roses

Charles Manson a enregistré des albums en prison qui ne suscitent pas vraiment d'autre intérêt que la curiosité malsaine. Mais son nom a inspiré le monde musical. On pense à Brian Hugh Warner, alias Marilyn Manson, qui n'a jamais caché que son nom de scène était la combinaison des noms de deux célébrités: Charles Manson et Marilyn Monroe. Il a d'ailleurs enregistré son premier album, Portrait of an American Family, au 10 050 Cielo Drive, la maison où Sharon Tate a été assassinée, transformée en studio d'enregistrement par Trent Reznor, leader du groupe de métal industriel Nine Inch Nails.

Reznor y a enregistré lui-même l'album The Downward Spiral sur lequel figurent les titres Pigs et March of the Pigs (qui font référence aux inscriptions en lettres de sang sur les murs après le massacre, qui référaient elles-mêmes à la chanson Piggies des Beatles).

Du rock jusqu'au rap, en passant par le métal et le punk, citer Manson semble avoir été une espèce de transgression pour les créateurs, une manière de créer une image forte. Manson a été mentionné par les Ramones, Black Sabbath, System of a Down, Niggaz With Attitude et de nombreux autres. Le groupe Guns N' Roses a déjà carrément repris une chanson de Manson - Look At Your Game, Girl - et son chanteur, Axl Rose, a porté en tournée un t-shirt à l'effigie du psychopathe (car oui, il y a aussi un marché de t-shirts de Charles Manson, notamment un macabre «Je suis Charlie»...).

PHOTO CHARLES SYKES, ARCHIVES INVISION/ASSOCIATED PRESS

Marilyn Manson

En littérature: Bugliosi, Cline, Ellis

Le premier livre sur la Famille Manson, Helter Skelter, écrit par Vincent Bugliosi, qui était procureur à son procès en 1970, a connu un immense succès lors de sa parution en 1974 et demeure à ce jour l'un des grands best-sellers du genre: plus de 7 millions d'exemplaires vendus. Ce qui ouvrira le bal d'une quantité de livres sur l'affaire.

Il n'est donc pas étonnant que le sujet fascine les écrivains pour leurs fictions. Seulement l'an dernier, trois titres ont attiré l'attention, tous se penchant plus particulièrement sur les filles de la Famille Manson: The Girls d'Emma Cline, American Girls d'Alison Umminger et California Girls du Français Simon Liberati.

Enfin, mentionnons que l'un des bad boys des lettres américaines, Bret Easton Ellis, auteur d'American Psycho, développe depuis quelques années une série sur la Famille Manson, en collaboration avec Rob Zombie.

À l'écran: Tarantino, Waters, South Park

Le cinéaste John Waters (Pink Flamingos, Hairspray), porté sur la culture trash, a suivi le procès Manson d'assez près pour développer une amitié avec l'une des meurtrières du clan, Leslie Van Houten, toujours emprisonnée. Elle est le sujet du film canadien Leslie, My Name is Evil de Reginald Harkema, sorti en 2009. 

De nombreux documentaires, téléfilms et miniséries se sont inspirés de la Famille Manson, pour le meilleur et pour le pire. À la télé, on se souvient d'un épisode de South Park, «Merry Christmas Charlie Manson!», où le personnage apparaît, et qui était une façon de renverser vicieusement le Noël de Charlie Brown...

Plus récemment, Manson est apparu dans la septième saison d'American Horror Story (incarné par Evan Peters), et on ne cesse de parler de lui dans la série Mindhunter de David Fincher, où l'on tente de comprendre l'esprit des psychopathes.

Mais ce qui suscite la plus grande curiosité est le prochain film de Quentin Tarantino, dont le sujet est précisément la Famille Manson (on parle même de Brad Pitt dans le rôle du gourou). De toute évidence, Charles Manson, même mort, n'a pas fini de hanter nos cauchemars... et la culture.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Susan Atkins, Patricka Krenwinkel et Leslie Van Houten, disciples de la «Famille Manson», ont été reconnues coupables de meurtres en 1971.