Les révélations d'inconduites sexuelles du producteur Éric Salvail et du fondateur de Juste pour rire Gilbert Rozon ont eu l'effet d'une bombe auprès du public québécois. Hier, quelques artistes, principalement issus du monde de l'humour, ont pris la parole pour dénoncer les violences alléguées.

Quelques langues se sont déliées au cours de la journée hier, particulièrement chez les humoristes, concernant les violences alléguées commises par Gilbert Rozon.

«J'espère sincèrement que les dirigeants maintenant en poste trouveront le moyen de couper tous les liens, légaux, financiers, créatifs, administratifs et aussi spirituels, avec leur ex-boss», a affirmé l'humoriste François Morency, dans une des sorties les plus caustiques à propos du magnat de l'humour.

Sans nommer qui que ce soit, l'humoriste Jean-Thomas Jobin, qui a plusieurs fois participé aux tournées Juste pour rire, a écrit sur sa page Facebook qu'«à la lumière des événements récents, et par solidarité pour les victimes, je nous invite à essayer de toujours garder une loupe sur nous-mêmes, dans le but de demeurer vigilants sur l'humilité et le respect, avec lesquels nous menons nos vies».

«Plusieurs se demandent pourquoi les "humoristes", nous gardons le silence devant ce qui se passe, a écrit Pierre Hébert. Je tiens à préciser que je ne garde pas le silence, j'ai seulement pris du temps pour regarder, lire, digérer, encaisser, comprendre tout ce qui vient avec une nouvelle comme ça.» Pierre Hébert a poursuivi en assurant n'avoir jamais été témoin de gestes déplacés de la part de Gilbert Rozon et a avoué avoir eu «un plaisir fou» à travailler avec Éric Salvail, condamnant néanmoins ses gestes «inacceptables».

«Je suis troublé en lisant les médias ce matin», a confessé l'humoriste Jeremy Demay, dans une déclaration transmise par son agente, une des premières réactions à émerger. François Massicotte s'est dit «extrêmement choqué par l'affaire Rozon», affirmant que, pour lui, c'en était terminé de sa collaboration avec Juste pour rire.

«Gilbert Rozon ne fera plus une cenne avec moi.»

Guy Nantel a également confié à La Presse qu'il ne «remettrait plus les pieds à Juste pour rire tant que son nom [Rozon] y sera lié». Celui qui avait gagné le prix de Révélation de l'année du festival Juste pour rire après que Gilbert Rozon eut entendu parler de lui dans les années 90, estime que le puissant homme d'affaires «ne doit pas que démissionner, il doit vendre, et rapidement». «Je lui souhaite de faire une thérapie et de s'en sortir.»

De son côté, Marie Routhier, conseillère et partenaire de longue date d'Éric Salvail, nous a répondu qu'elle n'avait «aucun commentaire».

Vent de changement

Pénélope McQuade couvrait le festival Juste pour rire pour l'émission Salut Bonjour! lorsque Gilbert Rozon s'est «jeté sur [elle]» dans une salle de bains privée du Musée Juste pour rire, en 1998, d'après ce qu'a rapporté Le Devoir. Au lendemain de la publication de la nouvelle, elle a témoigné sur les réseaux sociaux de la fierté et de la solidarité pour les «femmes et hommes qui ont trouvé, ensemble, la force de briser le silence pour que les choses changent et que ces comportements inacceptables cessent», ajoutant qu'elle prendrait du recul avant de «prendre la parole publiquement sur ce sujet [qu'elle] porte depuis si longtemps» auprès des médias concernant les agissements de Salvail et de Rozon.

De son côté, l'Association des professionnels de l'industrie de l'humour (APIH) a diffusé un communiqué, hier matin, condamnant «toute forme d'intimidation et de harcèlement» et s'engageant à «faire ce qui est en son pouvoir pour procurer un environnement de travail sain aux femmes et aux hommes qui oeuvrent dans l'industrie de l'humour.» L'APIH compte de nombreux artistes du rire parmi ses membres, dont André Sauvé, Alexandre Barrette, Cathy Gauthier, Jay Du Temple et Kat Levac.

Un vent de changement souffle sur le milieu artistique grâce au mouvement de dénonciation qui a pris naissance ces derniers jours, estime l'humoriste de la relève Rosalie Vaillancourt. «Ce sont des choses qu'on voit dans le milieu de l'humour, par exemple, des collègues qui ont des gestes inappropriés, a-t-elle témoigné. Certains vont prendre leur trou maintenant.» La jeune femme, au fait des rumeurs qui ont toujours circulé à propos de Gilbert Rozon, affirme avoir toujours refusé de serrer sa main lorsqu'elle le croisait. Elle s'est dite étonnée, mais fière de constater que «les gens se sont levés pour dénoncer au Québec». «Et pour une fois, on est derrière les victimes, plutôt que de douter d'elles.»

- Avec la collaboration d'Éric Clément