Marie Nelson Laferrière, mère de l'écrivain Dany Laferrière, est décédée le 11 mai à Port-au-Prince, ville qu'elle n'a jamais quitté de sa vie. Ce sont aussi les lecteurs de l'écrivain qui sont en deuil, puisqu'elle a traversé toute l'oeuvre de son fils.

La maison d'édition Mémoire d'encrier a fait parvenir hier un communiqué annonçant la mort jeudi dernier de Marie Nelson Laferrière, mère de Dany Laferrière. Elle était âgée de 90 ans. En plus du deuil du fils, c'est aussi un deuil pour ses lecteurs qui avaient adopté cette figure littéraire inoubliable, avec celle de Da, sa grand-mère. «Petit-Goâve reste aux yeux des lecteurs confondue avec la tendresse émanant de la figure centrale de Da, tandis que Port-au-Prince reflète le visage inquiet de Marie, sa mère», peut-on lire dans le communiqué. «Une ville de bouleversement politique incessant, de coups d'État militaires et même de tremblement de terre. Si Da semble être plus connue que Marie, c'est que la vie à Port-au-Prince est trop dure par rapport à la vie tranquille de Petit-Goâve.»

C'est pourtant une ville que Marie Nelson Laferrière a toujours refusé de quitter, malgré les catastrophes personnelles, politiques et naturelles, c'est à dire les exils de son mari et de son fils, les dictatures et le tremblement de terre de 2010. « Celle qui n'est jamais venue à Montréal alors que son fils y vit depuis 40 ans, qui n'a même jamais voulu prononcer le nom de cette ville, préférant toujours dire « Là-bas », n'a pas pu se résoudre à regarder cette ville rivale, poursuit-on dans le communiqué. Pourtant, Marie a toujours gardé une grande affection pour Montréal qui a accueilli son fils.»

C'est d'ailleurs elle qui l'y enverra en 1976, craignant pour la vie de Dany après l'assassinat de son ami Gasner Raymond. Un aller-simple pour Montréal, avec interdiction de revenir à la maison, comme le raconte l'écrivain dans le roman Le cris des oiseaux fous.  

Véritable pilier de Port-au-Prince, elle lui donnait des nouvelles fréquemment de la ville. Dany Laferrière évoquait sa mère pour convaincre les gens d'aller y faire un tour. « Ils sont 8 millions encore vivants, et ma mère vit à Port-au-Prince, nous avait-il confié en entrevue en 2010. C'est ce que je dis toujours aux gens: si ma mère y est, pourquoi vous n'y êtes pas? »

Extrêmement humble et discrète - nous n'avons pratiquement pas de photos de la dame - Marie Nelson Laferrière n'a jamais profité de l'attention qui entourait son fils. D'ailleurs, elle ne lui parlait jamais de ses livres, nous avait-il expliqué après avoir reçu le prix Médicis pour L'énigme du retour, dans lequel il écrivait : « Je ne cesse de revenir à elle dans mes écrits. Passant ma vie à interpréter le moindre nuage sur son front. Même à distance. » À propos de ce prix, il nous avait raconté l'un des rares compliments qu'elle lui avait fait: « À l'église où elle va prier, tout le monde est venu la voir pour la féliciter de mon prix. Elle m'a alors dit : «tu dois être très connu. J'ai fait chanter une messe pour toi. » Et en apprenant que son fils était devenu un immortel, aux côtés des Hugo, Montesquieu et Dumas, en entrant à l'Académie française en 2015, elle lui avait simplement répondu: «grosse affaire!».

Elle n'aura pas non plus assisté à son intronisation, alors que tout le gratin québécois et français y étaient, mais Dany Laferrière, avant de recevoir son épée, avait rendu un vibrant hommage à sa mère, «sismographe d'Haïti», qui admirait le style «fluide» des académiciens en lisant la revue Historia. «Il y a une personne qui n'est pas présente ici, et c'est ma mère. Je l'imagine assise près du massif de lauriers roses, le regard tourné vers les montagnes chauves qui entourent Port-au-Prince. À quoi pense-t-elle? Je ne saurais le dire.»

Marie Nelson Laferrière laisse dans le deuil Dany Laferrière, sa femme Margaret Berrouet, leurs trois filles Mélissa, Sarah et Alexandra, sa soeur Ketty, son époux Christophe Charles et leurs enfants Dany et Christelle. Les funérailles auront lieu le 15 mai à l'église Notre Dame D'Altagrace de Port-au-Prince.