Les arts sont indissociables des mouvements sociaux. Lors du printemps érable, nombreux sont les artistes qui n'ont pas hésité à soutenir les étudiants, tandis que ces derniers se sont parfois approprié des oeuvres pour alimenter leur cause. Témoignages d'artistes qui ont été marqués par le printemps 2012.

Yann Perreau - Chanteur

Sa chanson Le bruit des bottes est devenue un des hymnes du printemps érable

«J'ai le souvenir de grands rassemblements, de regards complices dans les manifs, d'un esprit solidaire qui donnait espoir. J'ai su que ma chanson Le bruit des bottes se promenait dans ce réseau-là. J'étais fier: je me disais qu'enfin, la toune pouvait servir un peu. Au même moment, j'étais avec Les hommes rapaillés et on voyait partout des phrases de Gaston Miron, alors que je chantais Je marche à toi. J'avais aussi interprété la chanson Qu'avez-vous fait de mon pays lors d'un événement à L'Olympia. Bref, j'avais trois chansons dans le même flot et je me sentais bouillant! Ma blonde était enceinte et je trouvais que c'était plein d'espoir. La vie a repris son cours ensuite, il y a une désillusion, mais je pense qu'il y a beaucoup de positif qui est sorti de tout ça.»

Fred Pellerin - Conteur

A prononcé un discours lors de la grande marche du Jour de la Terre

«Ça me rappelle mon implication pour le Jour de la Terre: l'appel des clochers qui sonnent partout dans le Québec, ça ressemblait à une chorégraphie panterritoire. Et la marche aux chaudrons quotidienne, c'était décliné en région. Ce sont ces deux bouttes-là qui me marquent le plus: il y avait une colère, mais ça se traduisait par des gestes colorés. J'étais en pleine écriture de mon spectacle De peigne et de misère et je me suis rendu compte que j'étais très imprégné par tout ça. Quand la ministre [Christine] St-Pierre a dit que j'étais un homme de violence et d'intimidation, j'ai trouvé qu'on poussait trop loin la stratégie, ça devenait d'un ridicule! Ce que je trouve plate, c'est que tout ça s'est transformé en élections et ça s'est comme oublié, dilué. Je pensais qu'on avait redécouvert la rue, s'engager sur le terrain. Avec ce qui se passe aujourd'hui, ça nous prendrait un printemps mondial.»

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Fred Pellerin

Ariane Moffatt - Chanteuse

A écrit la chanson Jeudi 17 mai 2012

«Pour moi, le souvenir, c'est l'effet boule de neige de ce déploiement. À quel point on a compris vite que cette génération n'était pas là pour niaiser. Ça passe par le visage principal du mouvement étudiant, Gabriel Nadeau-Dubois, le souvenir de le voir s'adresser aux médias avec verve et aplomb. Une autre image, c'est lorsque les manifestations se sont élargies à la population. Le souvenir de déposer fourchette et couteau en plein repas avec ma fiancée pour aller taper sur nos casseroles. Quel feeling de solidarité sociale galvanisant! Quand Jean Charest a annoncé l'application de cette "loi spéciale" le 16 mai au soir, j'étais dans une répèt'. Je suis tombée en bas de mon piano! Des phrases me sont tournées en tête toute la nuit et, au lever du soleil, j'ai craché ça d'un trait dans mon ordi. Le jour même, je suis allée enregistrer le texte et, en milieu d'après-midi, j'ai lancé ma petite pierre sur Twitter.»

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Ariane Moffatt

Catherine Mavrikakis - Auteure

A écrit le texte À la casserole dans le livre collectif Printemps spécial publié chez Héliotrope.

«Il y a un an ou deux, je me souvenais de l'espoir, mais avec le temps, ce qui me reste, c'est une espèce de force policière très développée. L'escouade antiémeute venait toujours se placer devant chez moi... Il y avait une violence de l'autorité que je n'avais pas vue depuis longtemps. Les étudiants d'il y a cinq ans ont été traumatisés, ç'a été très difficile pour eux de se raccrocher, de retourner aux études. Ils ont eu l'impression qu'on oubliait très vite ce qui portait le printemps érable. Je ne voulais pas écrire un texte militant, j'ai du mal avec ça, mais j'ai pensé à ce que deviendront ces gens qui ont fait le printemps 2012 dans 20 ans. Avec le recul, je vois une grande nostalgie, on est déjà en train de créer un discours mythique. Enfin, cet épisode a été pour moi un électrochoc pour me rapprocher de mes étudiants.»

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Mavrikakis

Patrick Nicol - Auteur

A publié en 2012 le roman Terre des cons aux éditions La Mèche

«Plus jeune, j'étais militant, et j'ai fini par comprendre que je ne peux pas tout faire. Je me suis consacré à la littérature, mais toujours avec un regret, le sentiment de ne pas m'occuper des affaires de la cité... Puisque nous étions en grève, je ne travaillais pas. Et il y avait toutes ces formes d'art pendant le printemps érable. L'idée d'écrire rapidement un livre et d'essayer de le sortir avant que les événements soient refroidis, ça faisait partie d'une sorte de performance. Beaucoup de gens ne l'ont pas lu parce que ça parlait de la grève. C'était le prix à payer. J'en garde un excellent souvenir, surtout parce que cela a dégénéré depuis. Je trouve ça dur en ce moment. Je ne sais plus trop de quoi parler, comment parler. Comme si la question de la justice sociale avait été kidnappée et qu'on ne parlait plus que d'identité, alors qu'elle m'apparaît plus importante.»

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Patrick Nicol

Jérémie Battaglia - Réalisateur et photographe

A réalisé la vidéo Casseroles sur la chanson Intuition du groupe Avec pas d'casque

«Mon premier souvenir, c'est la grande manifestation du mois de mars, le premier rassemblement général où il y a vraiment eu des milliers de personnes. Je faisais surtout de la photo à l'époque. Personnellement, j'ai beaucoup de mal avec le militantisme artistique, je suis plus intéressé à m'adresser à tout le monde qu'à ceux qui pensent comme moi. Pour être honnête, cette vidéo, je l'ai faite pour mes parents et ma famille en France, pour leur montrer un peu ce qui se passait. Je l'ai mise en ligne et rapidement, mon téléphone a sonné, j'ai reçu des milliers de messages pendant des semaines, même de ceux qui étaient pour la hausse des droits de scolarité. J'avais l'impression d'avoir réussi quelque chose, mais je n'aurais jamais pensé que cela aurait eu une telle répercussion. On m'en parle encore.»

Une onde de choc

De nombreuses manifestations artistiques de solidarité ont eu lieu pendant le printemps érable. En voici quelques-unes.

> L'École de la montagne rouge

Ils ont fait l'image de la résistance étudiante. Fondée par des étudiants de l'École de design de l'UQAM, L'École de la montagne rouge, inspirée par l'expérience de l'université américaine Black Mountain College dans les années 40 et par Mai 68, a réuni des talents au service de la cause, pour une puissance de frappe visuelle absolument originale et étonnante lors des manifestations. Cela a mené à une exposition rétrospective de leurs oeuvres, dont le commissaire était Frédéric Metz. Leurs affiches et pancartes sont probablement aujourd'hui des pièces de collection.

> Happenings et lipdub

De nombreuses manifestations improvisées ou non ont eu lieu, prises de parole poétiques ou chorégraphies publiques, et le lipdub était encore à la mode. Le Lipdub rouge, ici, est un collage de chansons québécoises fabriqué par des étudiants et auquel ont participé Loco Locass et les Justiciers masqués.

> Arcade Fire et Xavier Dolan affichent le carré rouge

Lors de leur passage à Saturday Night Live, en compagnie de Mick Jagger, tous les membres du groupe Arcade Fire portaient le carré rouge en appui aux étudiants du Québec. Xavier Dolan aura lui aussi porté le carré rouge au Festival de Cannes, où il présentait le film Laurence Anyways.

> Le sacre du printemps... érable

En avril 2012, des étudiants et des diplômés du Conservatoire de musique ont présenté une interprétation du Sacre du printemps de Stravinsky à l'église Saint-Jean-Baptiste de Montréal, en collaboration avec la troupe de danse La Conserve. Tous portaient le carré rouge.

> Nous?

Le 7 avril 2012, au Monument-National, s'est tenu l'événement Nous?, une prise de parole citoyenne de 12 heures inspirée du Moulin à paroles, organisé par Pierre-Laval Pineault, Sébastien Ricard, Brigitte Haentjens, Jean-Sébastien Pineault, Sébastien Aubin et Jean-Martin Johanns. Plus de 70 personnes de tous les milieux, pas seulement artistique, y ont lu des textes engagés.

> Des idées et des livres

Le monde de l'édition n'a pas été en reste dans ce printemps érable, et bon nombre de livres sur le sujet ont été publiés assez rapidement. Pensons à Printemps québécois: une anthologie de Maude Bonenfant, au collectif Printemps spécial, au beau livre Carré rouge du photographe Jacques Nadeau, à À qui la rue? Répression policière et mouvements sociaux de Francis Dupuis-Déri. Mais le livre qui a vraiment fait sa marque est sûrement Tenir tête de Gabriel Nadeau-Dubois, qui a pu ainsi expliquer la révolte étudiante de l'intérieur. L'essai a reçu le prix du Gouverneur général, mais l'auteur a décidé de remettre sa bourse de 25 000 $ à la lutte contre la construction de l'oléoduc Énergie-Est et lancé la campagne de sociofinancement «Doublons la mise», qui a amassé près de 400 000 $...

> Images d'archives

Des documentaristes sont nés lors du printemps 2012. Ils étaient étudiants et suivaient inlassablement les manifestations, captant la moindre violence policière, interrogeant les manifestants et voulant montrer un point de vue qu'ils estimaient négligé par les grands médias. Qu'il s'agisse du collectif 99 % Média, des télévisions étudiantes des universités ou de cinéastes improvisés, on peut dire que le printemps érable a été largement archivé. Il a aussi donné quelques documentaires, comme Carré rouge sur fond noir de Santiago Bertolino et Hugo Samson.

Photo archives La Presse

Jérémie Battaglia