Depuis 30 ans, le Chez-Nous accueille des artistes à la retraite, regroupés sous un même toit pour écouler leurs vieux jours. La Presse a passé une semaine entre les murs du bâtiment de la rue Beaubien pour s'imprégner de l'ambiance de l'endroit et rencontrer ses locataires colorés, un brin nostalgiques de leur époque de gloire. Éloignés du monde du spectacle, ils continuent de monter sur scène devant les autres locataires, pour leur tour de chant du vendredi soir.

«Ici, c'est une communauté culturelle. Tout le monde est un peu marginal!», lance d'emblée le directeur général du Chez-nous des artistes, Gilbert Killeen, dans son petit bureau situé à l'entrée du complexe locatif de l'est de la ville.

Comme si c'était arrangé avec le gars des vues, deux résidants de l'entroit se croisent dans le couloir au même moment: le premier porte un large chapeau mexicain et un hâle de vacancier, l'autre se balade avec une perruche sur l'épaule.

Depuis 1986, le Chez-nous des artistes offre un toit à des artistes de tous les horizons, dont une bonne proportion sont dans le besoin: une trentaine de locataires (sur les 78 que compte l'immeuble de trois étages) reçoivent une subvention pour les aider à payer le loyer.

Pour devenir résidant, il faut être un artiste et être âgé d'au moins 50 ans (la moyenne d'âge est de 78 ans). «Ça fonctionne beaucoup par le bouche-à-oreille et il y a une liste d'attente. Depuis un an, plusieurs m'appellent pour savoir si on a de la place», explique M. Killeen.

Par contre, pas besoin d'être membre de l'Union des artistes pour poser ses valises au Chez-nous, qui est administré par un organisme à but non lucratif. À vrai dire, le tiers des résidants ne proviennent pas du milieu artistique, estime M. Killeen, qui ne cache pas privilégier les artistes pour préserver la vocation de la maison.

Sinon, hormis les notes de musique sur les murs extérieurs du bâtiment de la rue Beaubien, les portes brillamment décorées et autres légers indices, rien ne distingue le Chez-nous d'un immeuble d'habitation ordinaire.

Rien, à part la clientèle extravagante et la qualité du spectacle présenté toutes les deux semaines dans la salle communautaire. Mais la plupart de leur temps, les locataires le passent dans leur appartement tout équipé - des trois et quatre et demie dont le prix mensuel oscille autour de 1000 $.

Cure de jouvence

Depuis l'entrée en poste de M. Killeen en 2011, les choses ont considérablement bougé entre les murs de la bâtisse, selon de nombreux occupants. Et pour le mieux. Le directeur général parle de sa volonté de donner une cure de jouvence à l'endroit.

«Tous les logements vacants sont rénovés. Après 30 ans, on avait besoin de refaire une beauté à nos appartements.»

Sous la tutelle de M. Killeen, le Chez-nous serait d'ailleurs sorti du marasme financier dans lequel il s'embourbait depuis des années. Il faut dire que le nouveau patron est un gestionnaire «pur jus» à la retraite, qui a 40 ans de métier derrière la cravate. «Ç'a toujours été géré par des artistes avant et l'immeuble était toujours en faillite», confie-t-il.

Il estime d'ailleurs que près de 200 000 $ dorment dans les coffres du Chez-nous, sans compter un don posthume de 250 000 $ fait par l'illustre Lady Alys Robi, ancienne résidante de l'endroit morte en 2011. Une partie de l'argent a déjà été investi dans l'aménagement d'une magnifique terrasse extérieure et d'une salle de conditionnement physique (baptisée la salle d'Aé-Robi).

La direction compte sur ces bonnes nouvelles pour redorer l'image du Chez-nous, considérablement amochée dans les médias il y a quelques années.

L'acteur et comédien André Montmorency avait notamment poursuivi d'anciens administrateurs, les accusant de l'avoir fait illégalement interner en psychiatrie et de l'avoir chassé de sa résidence sans son consentement.

«Quand je suis rentré ici, les dossiers montaient jusqu'au plafond. J'ai fait le ménage dans la boîte», résume M. Killeen.

Bien sûr, tout n'est pas rose et quelques crises éclatent ponctuellement entre les locataires. En une semaine, La Presse a été témoin de quelques prises de bec, mais surtout de beaucoup de commérages chez cette clientèle exubérante et extravertie.

Gilbert Killeen est bien placé pour en témoigner. Il sourit.

«Au-delà du fait que ce sont des artistes, pour moi, ce sont des locataires et, le premier du mois, il faut payer son loyer.»

Des locataires de renom

En 30 ans, plusieurs artistes de renom ont posé leurs valises au Chez-nous.

Alys Robi, chanteuse (1923-2011)

Lucien Hétu, organiste  (1926-1990)

Pauline Lapointe, actrice et chanteuse (1950-2010)

Léo Rivest, humoriste (1913-1990)

Rose Ouellette (La Poune), artiste burlesque, comédienne et humoriste (1903-1996)

Juliette Pétrie, artiste burlesque, comédienne et humoriste (1900-1995)

Manda Parent, artiste burlesque, comédienne et humoriste (1907-1992)

Jean Rafa, chanteur et fantaisiste (1910-1998)

Le Chez-nous en quelques dates

1982: Un petit comité, dont font partie André Champagne, Reine France et Raymond Poulin, fait le point sur ses démarches auprès de la Ville et de l'Union des artistes pour mettre en place le Chez-nous des artistes.

1983: Le terrain de la rue Beaubien est retenu.

1986: Inauguration de la bâtisse en septembre.

1991: Le conseil d'administration entreprend des démarches pour créer la Fondation des artistes.

1996: Mise en place d'un comité des loisirs.

1999: La direction du Chez-nous des artistes se plaint au C.A. que plusieurs locataires sont très contestataires. L'ambiance est tendue entre les murs de la bâtisse.

2003: Changement de garde à la tête du Chez-nous pour calmer le jeu. Les finances demeurent néanmoins précaires pendant plusieurs années.

2011: Gilbert Killeen, un gestionnaire de métier, prend le Chez-nous des artistes en main. Alys Robi meurt la même année et laissera un héritage de 250 000 $.

2016: Le Chez-nous souligne ses 30 ans.

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Alys Robi