Le rire coquin de Leeroy Edwards ne résonnera plus. Celui que l'on surnommait The Happy Wanderer est mort le 16 décembre dernier d'un arrêt du coeur, dans la petite chambre qu'il occupait depuis son arrivée au Québec, en 1953. Il avait 88 ans.

Trinidiadien d'origine, brother Leeroy était un authentique personnage montréalais, dans la lignée de papa Palmerino et du Grand Antonio. Les habitués de la Carifête et du quartier de la Petite-Bourgogne se souviendront longtemps de ce vieux griot pittoresque, qui parcourait la ville vêtu de ses éclatantes robes africaines, en agitant son appareil photo et en distribuant ses maximes fleuries à qui voulait bien les entendre. Pas toujours facile de comprendre ses longs soliloques, qui mélangeaient la poésie, la philo, le peace&love et le délire métaphysique. Mais une chose est certaine: le «joyeux troubadour» était un grand communicateur.

«Il était Facebook avant Facebook. Il était l'ultime réseauteur, résume son neveu Brian Edwards, rencontré cette semaine au salon funéraire. S'il m'a appris une chose, c'est de ne jamais sous-estimer le pouvoir de dire bonjour à quelqu'un.»

Fou, brother Leeroy? Excentrique, à tout le moins. Son sens du spectacle et sa garde-robe mémorable le distinguaient clairement de la masse. Mais cela ne l'a pas empêché de travailler à Air Canada pendant 33 ans aux soutes à bagages. Au-delà de ces fonctions officielles, Leeroy Edwards se décrivait aussi comme «journaliste, performeur et poète» et s'était lui-même baptisé «joyeux troubadour», un titre qu'il avait fait inscrire sur sa carte de visite!

À la guerre comme à la mer

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le Happy Wanderer n'est pas venu au monde heureux. «Je suis né dans le péché et l'enfer», résumait-il, sans s'avancer davantage. Quand il est question de sa jeunesse à Trinité, l'homme se faisait silencieux. On sait qu'il est né en 1922 et qu'il a grandi dans la pauvreté extrême, avec une quinzaine de frères et soeurs.

À 18 ans, répondant à l'appel de Churchill pendant la Seconde Guerre, il s'est engagé dans la Marine royale de Trinité-et-Tobago, où il était torpilleur. Vérité ou légende? On raconte qu'il aurait sauvé son équipage en plongeant dans la mer pour désamorcer une mine qui menaçait son navire. Après cinq ans de loyaux services pour le Commonwealth, il s'est recyclé dans la marine marchande, à faire la navette entre Trinité et Tobago.

D'autres s'en seraient contentés, mais pour le jeune Leeroy, les horizons étaient trop limités. À l'hiver 1953, il part rejoindre d'autres membres de sa famille déjà installés à Montréal. À son arrivée, la communauté trinidadienne était encore très petite - quelques marins, aventuriers et domestiques vivaient dans le quartier de la Petite-Bourgogne. Avec l'élimination des quotas raciaux au Canada en 1962, cette immigration prendra de la vigueur, avant de connaître un boom autour de l'Expo 67, avec l'arrivée successive d'universitaires, de femmes de ménage et d'acteurs culturels. À titre de pionnier du Montréal caribéen, Leeroy Edwards ouvrait chaque année le défilé de la Carifête, un mandat qu'il s'était lui-même attribué sans vergogne, mais avec le sourire.

«Nous avons perdu une icône de notre communauté», dit tout simplement Henry Antoine, organisateur de la Carifête.

Un monde, une chambre

Grand voyageur, le «joyeux troubadour» aurait parcouru trois fois la circonférence de la Terre. Mais il a toujours dit qu'il mourrait chez lui, dans sa petite chambre de la rue Coursol, entouré de ses livres, journaux, trophées, médailles et costumes incroyables, de sa collection de drapeaux, de ses vieux téléphones à cadran (non fonctionnels!), de sa radio et de ses nombreux sacs de photos, prises au fil des ans avec diverses personnalités des mondes communautaire et politique. Esprit libre, il ne s'était jamais marié, mais affirmait avoir 10 enfants adoptifs, des jeunes issus de milieux défavorisés, qu'il parrainait à sa façon.

Selon sa famille, Leeroy Edwards n'avait pas vu de médecin depuis 30 ans, arguant qu'il se connaissait mieux que personne. Sa bonne humeur contagieuse lui a sans doute permis de rester en santé plus longtemps. Raison de plus pour regretter son départ, comme en a témoigné ce couple de jeunes voisins venu lui rendre hommage cette semaine au salon funéraire: «On vivait de l'autre côté de la rue. On va beaucoup s'ennuyer de lui.»

Leeroy Edwards a été enterré hier au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.