Clairette Oddera, décédée ce mardi, avait deux amours : Montréal et la chanson. Elle aura d'ailleurs chanté presque jusqu'à la fin de sa vie puisqu'elle a chanté en juin dernier, à l'âge de 89 ans, Mon enfance, une chanson de Jacques Brel, à l'occasion d'un hommage à Raymond Berthiaume, rappelle le chanteur et animateur Roger Sylvain.

«Elle me disait que j'étais le fils qu'elle n'avait pas eu, dit-il. On était très proches ces 10 dernières années car j'étais le seul qui la faisait chanter. Les gens ont la mémoire courte dans le métier mais j'espère que l'ADISQ lui rendra hommage.»France Castel disait ce mercredi sur les ondes de Radio-Canada que les chanteurs appelaient affectueusement Clairette «notre mère supérieure» et qu'au printemps dernier, elle avait revu Clairette «pour la remercier pour ce qu'elle a fait pour moi».

Clairette a tenu pendant une douzaine d'années la Boîte à Clairette, un cabaret montréalais qui a grandement favorisé l'éclosion de nombreux talents québécois, à commencer par Claude Dubois, Sylvain Lelièvre, Diane Dufresne, Robert Charlebois ou Daniel Guérard.

Ainsi, la chanson a complètement rythmé sa vie. Lors d'une entrevue avec Clairette, en 2005 pour la rédaction du livre Français de Montréal, dont elle était l'une des 20 personnalités françaises de la métropole, elle avait à plusieurs reprises fredonné des airs qu'elle avait chantés dans sa jeunesse. Si elle se mettait à parler d'une année, elle lui associait une chanson.

«En 1950, Charles Aznavour chantait Le feutre taupé, disait-elle, avant de se mettre à entonner «il portait un feutre taupé... il parlait par onomatopées... il buvait des cafés frappés... avec des pailles...» Le tout avec son accent marseillais à couper au couteau de plongée.

Il y a deux ans, elle avait quitté son appartement des Pyramides olympiques pour aller habiter dans une résidence de personnes âgées de la rue Sherbrooke. Dans sa petite pièce centrale, elle avait rassemblé tous ses souvenirs, dont beaucoup de photos des gens qu'elle aimait. Quand on lui demandait ce qu'elle pensait du Montréal musical et festif d'aujourd'hui, elle répondait :

«C'est superbe! Il y a une évolution que c'est à craquer! Quand je suis arrivée, on m'avait censuré une chanson que j'avais chantée à Paris : «Si vous cherchez un homme fidèle, autant chercher une aiguille dans un tas de foin». Eh bien ça, non! Il ne fallait pas le chanter au Québec parce qu'il fallait que le mari soit fidèle! L'évolution de Montréal, quand on y pense, c'est un rêve.»

Le chanteur Pierre Létourneau, qui prépare un spectacle qui s'intitule justement «Boîte à chansons», produit par Robert Charlebois, fait partie de ceux qui sont sortis de l'incubateur de Clairette.

«Quand je l'ai rencontrée, elle m'a fait découvrir le parfum français, le vin rouge et les saucissons, dit-il. Elle m'a appris la chanson française, bien sûr, la chanson gaillarde, la chanson de groupe, l'animation et le sens de la présence physique sur une scène.»

Pierre Létourneau parle de la Boîte à Clairette comme d'une «grande et très belle école». «Elle a été une bougie d'allumage avant que n'arrivent les années 70 avec L'Ostie d'show et la révolution culturelle au Québec et aussi planétaire. Mais son travail a laissé des traces.»

Récemment, Pierre Létourneau a chanté au Salon des aînés, au Stade olympique. Il y a croisé Clairette. «Quand ç'a été mon tour de monter sur scène, elle m'a dit «allez, vas-y, tu as voulu faire l'artiste alors vas-y!». Et elle avait raison. Être artiste, c'est un choix aussi. Et elle me le garrochait en pleine face! Tendresse et sévérité, ça la résume bien.»

«C'est un monument qui disparaît, réagit François Lubrina, un Montréalais d'origine française qui représente les Français de l'étranger au Québec. Je l'avais vue dans sa boîte dans les années 70 sur la rue de la Montagne. Elle nous avait apporté un peu de Provence ici. Elle était d'une nature extrêmement généreuse. La dernière fois que je l'ai vue au Centre culturel italien de Saint-Léonard, elle disait que c'était l'amour qui était important. L'amour aura été le fil directeur de sa vie. Dommage qu'elle ait été un peu oubliée à la fin.»

Clairette avait été décorée Chevalier de l'Ordre national du Québec en 2002. Quand on lui demandait si elle se sentait marseillaise ou montréalaise, après toutes ces années passées au bord du Saint-Laurent, elle répondait :

«Marseille, c'est mon père et ma mère et la famille qui me reste et pour laquelle, je prie tous les matins. Montréal, c'est ma vie. Vous savez, c'est très rare mais Montréal, pour moi, c'est de l'amour. Ici, les gens ont une âme. Ils ont du coeur.»