On a tous la manie de catégoriser les chanteurs: untel fait du country pop, l'autre fait du rock adulte, le troisième tend vers le pop-rock-country adulte... Mais il est une catégorie qui résiste à toute catégorisation: la, ou plutôt les «musiques émergentes».

Synonyme récent d'«artistes de la relève», mêlant notamment «musique alternative», «marginale», «indépendante» et «autoproduction», les musiques émergentes sont comme les trous noirs: elles existent, mais on ne sait pas de quoi elles ont l'air exactement puisqu'on y trouve absolument de tout, du classique classique au garage-électro-ska-klezmer.

 

Si on essaie de les définir quand même - comme le tente louablement le CRTC actuellement afin d'établir des quotas de «musiques émergentes» à la radio, à partir des ventes de disques sur un certain nombre d'années - on pourrait conclure que Marie-Mai fait de la musique émergente, mais pas nécessairement Éric Goulet, alias Monsieur Mono, Les chiens et Possession simple!

Or, une toute récente thèse de doctorat déposée à l'Université de Montréal vient justement démontrer que c'est ce flou artistique, cette impossibilité de tracer les frontières des musiques émergentes, qui en font la force. Martin Lussier, batteur du défunt groupe québécois Les Marmottes Aplaties (catégorisé à l'époque punk-rock!), a déposé il y a peu sa thèse à l'Université de Montréal, intitulée Les «musiques émergentes» à Montréal. Devenir-ensemble et singularité. Après y avoir consacré cinq ans de sa vie, le jeune docteur ès communications en a parlé à l'émission radio Violette Vilaine à CISM, et la journaliste de La Presse n'a eu de cesse de l'interviewer à son tour.

«Tout le système de l'industrie musicale actuel fonctionne par catégorisation: dans les galas, chez les subventionnaires, dans les radios et les médias, les disquaires, explique Martin. Qu'est-ce qu'on fait avec les musiques émergentes, qu'on ne parvient pas à définir par les ventes, le type de musique, le budget, les lieux, ni la qualité de production du produit?»

« (...) cette thèse présente les «musiques émergentes» comme un ensemble hétérogène, diffus, mouvant et aux frontières poreuses - bref, non pas comme un être déterminé, mais comme un devenir», répond-il dans sa thèse. Et surtout ce qu'il appelle un «devenir-ensemble»: ce sont les liens que les musiques émergentes entretiennent entre elles qui importent, plus qu'autre chose. «Une des conclusions qui s'imposent, me dit Martin Lussier, ce n'est pas que la catégorisation est nécessaire, mais plutôt qu'il faut peut-être penser les subventions autrement, penser les institutions autrement, etc.»

Comment? Pas clair. Mais en plein renversement de l'industrie du disque, non seulement au Québec mais partout, le fait d'être éclaté, singulier est peut-être une voie. Martin Lussier aborde plusieurs aspects de la question (les relations avec la Guilde des musiciens, le fameux «buzz» de Montréal après Arcade Fire, etc.), dans une thèse écrite... comme une thèse, remplie de références à des penseurs et des philosophes. Mais avec aussi des centaines de notes en bas de page qui présentent des centaines de musiciens «émergents». Juste pour ça et la réflexion sur le phénomène, on remercie Martin.

Le modèle québécois...

Une petite réflexion en terminant. Actuellement, le monde traverse une grave crise financière. Or, vous remarquerez que, partout, on se fait un devoir de préciser qu'au pays, ça va mieux qu'ailleurs. Qu'il faut être vigilant, mais ne pas paniquer. Résultat? Il n'y a pas de panique. Et ça va mieux qu'ailleurs.

Et si on faisait la même chose en musique? Si, au lieu de répéter tout le temps que les ventes de CD chutent, on soulignait plutôt qu'au Québec, elles ne vont pas si mal, et que, eh oui, nous sommes encore une fois distincts? À force de dire que les CD ne se vendent plus, les gens vont finir par arrêter d'en acheter «parce que plus personne n'en achète». Alors, pourquoi ne pas plutôt les remercier de «penser autrement», les y encourager? Si on soulignait qu'il faut être vigilant, mais ne pas paniquer?

COURRIEL

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