Confiné en Grèce, Alain Lefèvre répète du nouveau répertoire avec l’espoir de renouer avec la scène au cours de cette année. Il propose dans l’intervalle un nouvel album de compositions, Opus 7, qui allie romantisme et virtuosité. « Ce ne sont pas des tounes », dit le pianiste, allergique à la musique d’ascenseur.

Réglons d’abord un malentendu : non, Alain Lefèvre n’a pas quitté Montréal pour s’établir en Europe. Il possède un pied-à-terre au sud d’Athènes, la capitale grecque, mais a toujours sa résidence principale à Montréal. « Je suis toujours un heureux payeur d’impôts au Québec et au Canada », précise-t-il, avec moins d’ironie que de sourire dans la voix.

La veille de son entretien avec La Presse, le pianiste apprenait que les autorités grecques durcissaient les mesures de confinement en cours dans le pays, en imposant notamment un couvre-feu à 18 h. Il est donc « pogné » dans le sud de l’Europe pour encore un bout de temps. Il trouve le temps un peu long — il n’a pas donné de concert depuis un an —, mais ne veut surtout pas se plaindre.

« Je travaille huit heures par jour parce que je suis discipliné. Mon père était militaire et la discipline est dans mon ADN. Je travaille comme si j’avais 2000 concerts à venir, mais je n’arrive plus à composer », regrette-t-il. Le pianiste développe du nouveau répertoire et, le soir, il fait « comme tout le monde » : il regarde Netflix.

Alain Lefèvre a la parole facile. Or, depuis le début de la crise sanitaire, il s’est tu. Il ne s’est pas « mis en scène dans son salon » à jouer du piano, ce qu’il associe à « de l’exhibitionnisme de mauvaise qualité ». Il a préféré rester en retrait à observer et à écouter. À s’inquiéter aussi des dérives de la démocratie américaine, de l’accroissement des inégalités et de la détresse humaine.

Des émotions fortes

Opus 7 n’a pas été composé durant la pandémie. Il arrive toutefois avec une force fragile — c’est d’ailleurs le titre du premier morceau — qui colle à l’époque. Alain Lefèvre avoue avoir été ému la première fois qu’il a glissé son disque dans le lecteur CD, il y a quelques jours.

« J’ai été ému de ma propre musique. Ça fait stupide de dire ça, mais c’est la vérité, dit-il. J’ai pleuré parce que la dernière année a été difficile, parce que chaque pièce me ramène des images de tendresse. Peut-être aussi à cause de ma nature inquiète. »

Le pianiste n’avance pas dans la vie et dans l’art poussé par un sentiment d’autosatisfaction. « Plus le temps passe, moins j’ai de certitudes », dit-il. Les années n’altèrent toutefois pas la confiance qu’il a envers la musique, qu’il aborde sans compromis. Il n’aime ni les « multisegments » ni les « tounettes » répétitives « à la Amélie Poulain » ou Ludovico Einaudi, qu’il associe à de la musique d’ascenseur.

À ces musiques faciles, il oppose ses compositions de virtuose. « Ce que j’ai composé, je l’ai fait comme un pianiste classique qui joue du Rachmaninov, du [André] Mathieu et du [Walter] Boudreau, tranche-t-il. Ce sont des pièces extrêmement difficiles techniquement, ce ne sont pas des tounes. Je ne dis pas que c’est bon, je dis juste que ce ne sont pas des tounes. »

Il s’étonne parfois de l’enthousiasme que soulèvent certains compositeurs de musique instrumentale ces temps-ci.

Pour reprendre l’exemple de M. Einaudi, se faire filmer sur un glacier en train de jouer au piano des affaires qu’un enfant de 4 ans pourrait composer, si c’est ça être compositeur, je préfère faire des beignes !

Alain Lefèvre

Leçon de vie

Alain Lefèvre n’a pas eu le projet de « composer difficile ». « Tu ne peux pas décider des choses comme ça », juge-t-il. Son approche provient d’un mouvement intérieur. « Avec le temps, je me suis fait confiance et me suis dit que j’allais composer comme un pianiste qui joue du piano classique », dit-il. C’est-à-dire utiliser tout son bagage et le mettre au service de son inspiration, de sa curiosité et de sa sensibilité. De son art, quoi.

Il émeut à plus d’une reprise avec ces morceaux empreints de délicatesse, mais aussi traversés d’emportements. Alain Lefèvre a un tempérament vif, et le fait sentir. Une sensibilité extrême aussi, qu’il sait faire partager avec finesse, notamment sur Mati, morceau auquel collabore Thanasis Polykandriotis, virtuose du bouzouki, et qui évoque l’incendie qui a rasé une station balnéaire grecque en faisant de nombreux morts.

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Alain Lefèvre venait de conclure une tournée auréolée de succès lorsque la pandémie est arrivée. Il est, de son propre aveu, passé « d’un gros high au confinement ». L’atterrissage n’a pas été facile. Et il en tire une grande leçon.

« La pandémie est une grande école, car elle force à comprendre qu’on peut faire beaucoup de projets dans la vie et que tout peut s’effondrer d’un coup, dit-il. Ce que tu apprends, c’est que si ta vie est liée à des projets qui servent l’ego ou la gloire, elle ne vaut pas grand-chose », estime-t-il. Le pianiste, lui, le dit en toute simplicité : ce qui le fait vivre, c’est l’amour. Et c’est ce qui vibre dans son beau disque.

IMAGE FOURNIE PAR WARNER CLASSICS

Opus 7, d’Alain Lefèvre

Opus 7, d’Alain Lefèvre, chez Warner Classics. En vente dès ce vendredi 19 février.