Depuis la nomination enthousiasmante de Rafael Payare comme directeur musical de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), j’ai entendu plusieurs fois la même réflexion : « Il semble formidable, mais à quand une femme à la tête d’un de nos grands orchestres ? »

J’ai envie de répondre : « C’est pour bientôt. »

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Dalia Stasevska sera de passage comme cheffe invitée en mars à l’Orchestre symphonique de Montréal.

Est-ce une certitude ou un souhait ? Un souhait, très certainement, une impression forte aussi. Impression partagée par la directrice de la programmation à l’OSM, Marianne Perron.

« Si on est prêts ? Oui, bien sûr, autant les musiciens que l’OSM comme institution et, plus largement, la société. Pas besoin de parler du niveau : le talent est là, c’est indiscutable. »

Le comité de sélection du nouveau chef de l’OSM a envisagé des candidatures féminines. Combien ? Aucune liste officielle de candidats n’ayant été rendue publique, Marianne Perron ne souhaite pas le préciser. Plus d’une ? Après un silence, elle précise que si l’on considère les différents stades du processus, la réponse est oui. On devine donc qu’elles n’étaient pas en grand nombre.

À l’échelle mondiale, seulement 4,3 % des orchestres sont dirigés par des femmes, selon la Maestra, organisme français voué à la promotion et à l’accompagnement des cheffes, par l’entremise d’une académie et d’un concours dont la première édition s’est tenue à Paris l’automne dernier. En tout, 220 candidatures étaient venues de 51 pays : il semble que le besoin était là.

En 2007, la cheffe Marin Alsop a franchi un plafond de verre en devenant la première directrice musicale d’un grand orchestre américain, celui de Baltimore. Au début de ses études, il y a près de 50 ans, elle était certaine d’être suivie rapidement par de nombreuses aspirantes cheffes, mais les choses avancent trop lentement à son goût. Elle a d’ailleurs créé un programme de mentorat pour jeunes cheffes prometteuses.

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La cheffe Marin Alsop

« On ne peut pas attendre 50 ans de plus », disait récemment la cheffe française Claire Gibault. Elle a été la première femme à diriger la Scala de Milan et la Philharmonie de Berlin. Mais, encore en 2018, un collègue juge à un concours affirmait que la morphologie des bras féminins, conçus pour porter un bébé, ne prédisposait pas à la direction d’orchestre. La goutte de trop : peu après, Claire Gibault lançait la Maestra.

Marianne Perron suit de près l’évolution des jeunes cheffes. « Il y a cinq ans, plusieurs grandes agences ne représentaient aucune cheffe. Maintenant, c’est l’explosion ; elles sont dans les agences… et très sollicitées par les orchestres ! Le balancier va se placer, et ça deviendra tout simplement normal. C’est inévitable, elles sont présentes dans les écoles, elles ont des modèles, maintenant. »

Mais qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, pour construire une relation à long terme avec un orchestre, c’est le rapport avec les musiciens qui est déterminant. Ce courant qui passe, ou pas : « Avec Rafael Payare, la chimie a opéré des deux côtés. Je vois les musiciens sourire sous leur masque ! », dit Marianne Perron.

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Marianne Perron, directrice de la programmation à l’Orchestre symphonique de Montréal

L’OSM a-t-il une stratégie quant à la présence de cheffes invitées ? Si Marianne Perron n’adhère pas à l’idée de quotas, elle parle d’une « sensibilité certaine », analogue à celle qui favorise la présence d’artistes canadiens. L’équipe de l’OSM maintient une veille sur les agences, les concours de direction d’orchestre. Dans cette saison complètement redessinée, on a réussi à replacer en mars la visite de Dalia Stasevska, trentenaire finlandaise, principal chef invité de l’Orchestre de la BBC, à Londres.

L’OSM aimerait bien accueillir, entre autres, Mirga Gražinytė-Tyla, cheffe lithuanienne en pleine ascension, première à signer un contrat exclusif à long terme pour enregistrer sous la légendaire étiquette Deutsche Grammophon.

Quand on se promène dans cette constellation de jeunes cheffes brillantes, un constat saute aux yeux et aux oreilles : cette nouvelle génération embrasse une « physicalité » décoincée.

Au-delà du genre et de l’indispensable maîtrise du discours musical, c’est la capacité de communiquer avec les musiciens et avec le public qui change la donne.

Capacité évidente chez la gagnante du premier prix au concours la Maestra, Rebecca Tong, à voir avec l’extrait ci-dessous.

Il faudra aussi garder à l’œil celle qui a remporté le Prix de l’orchestre de la Maestra. Étudiante en droit et en musique du Venezuela âgée de 24 ans, vendeuse de fruits pour payer ses études, elle a dû faire une collecte de fonds pour réunir les 150 euros de l’inscription au concours. Elle ne s’est pas rendue en finale, mais tous lui prédisent un avenir brillant. Formée par le désormais célèbre El Sistema, Gladysmarli Del Valle Vadel Marcano (Glass Marcano pour les intimes) marchera peut-être dans les traces du nouveau chef de l’OSM.

> Regardez la vidéo complète de la présentation de la cheffe Glass Marcano

Mélanie Léonard et Dina Gilbert mènent en ce moment de belles carrières. La première est directrice musicale de l’Orchestre symphonique de Sudbury, la seconde est à la tête de l’Orchestre symphonique de l’Estuaire et du Kamloops Symphony Orchestra. Mais attention, rien n’est gagné : les diplômés récents en direction d’orchestre des trois principales institutions montréalaises sont très majoritairement des hommes. Bilan des 10 dernières années aux cycles supérieurs : 15 étudiants, dont 5 filles, à l’Université de Montréal, 2 filles sur 7 diplômés au Conservatoire et… aucune fille sur les 8 diplômés de McGill.

Allez, les filles ! 

Quelques pionnières

Ethel Stark

En 1940, Ethel Stark fonde la Symphonie féminine de Montréal, après avoir étudié le violon et la direction d’orchestre à Curtis, la grande école de Philadelphie. À lire à son sujet : l’excellent Partition pour femmes et orchestre.

> Consultez la fiche du livre 

Agnès Grossmann

Agnès Grossmann a été la directrice musicale de l’Orchestre Métropolitain de 1986 à 1995.

Lorraine Vaillancourt

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Lorraine Vaillancourt a lancé le Nouvel Ensemble Moderne en 1989.

Lorraine Vaillancourt a lancé le Nouvel Ensemble Moderne en 1989.

> Consultez le site web du Nouvel Ensemble Moderne

Véronique Lacroix

À la même époque, Véronique Lacroix créait l’Ensemble contemporain de Montréal.

> Consultez le site de l’Ensemble contemporain de Montréal