Après trois mois d’arrêt,
 les musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal et 
de l’Orchestre Métropolitain se sont retrouvés ces dernières semaines pour des répétitions 
et des concerts captés pour l’Internet. Cinq musiciens de ces deux ensembles racontent comment ils ont gardé leur forme musicale, les défis de jouer seul et le bonheur de jouer ensemble.

L’annonce de la fin des concerts symphoniques a été un choc pour les musiciens d’orchestre, habitués de jouer en groupe. Pierre Beaudry, tromboniste à l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), a eu le sentiment qu’on lui interdisait d’aller voir sa famille. Ce n’est pas seulement le contact humain qui lui a manqué, mais le lien musical.

« Ça m’a toujours impressionné de voir qu’on pratique chacun de notre côté et qu’au bout de deux répétitions en orchestre, tout le monde se retrouve et ça sonne, explique-t-il. La musique, pour moi, c’est un miracle et, en ce moment, ce miracle-là ne peut pas se produire. »

Sa motivation à répéter a subi une baisse en mars, admet-il, puis l’envie est revenue. Elvira Misbakhova, altiste à l’Orchestre Métropolitain (OM), elle, a vite choisi de rester active. Elle avait une très bonne raison d’agir ainsi : juste avant le confinement, elle avait obtenu un alto italien moderne signé Fernando Garimberti, un beau hasard qui a enjolivé cet arrêt forcé.

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Elvira Misbakhova, altiste à l’Orchestre Métropolitain

« Tout le temps que j’ai en ce moment, je le passe à développer une amitié avec mon nouvel instrument, raconte la musicienne. Sa sonorité est très chaleureuse. Un petit peu sucrée, aussi, mais pas trop. Les altistes, on cherche souvent de la rondeur dans les aiguës et cet instrument a cette rondeur et ce velours. Pour ce qui est des graves, je les découvre encore, je travaille là-dessus ! »

En concert chez soi

Son collègue Simon Bourget, corniste, a eu moins de chance. La création de son Concerto pour cor – son tout premier ! —, prévue le 17 mars, a été annulée la veille de la première répétition... un certain vendredi 13 mars. « J’étais vraiment déçu ! » admet le musicien.

Il n’a toutefois pas perdu le fil : pour garder le rythme — et sa forme musicale —, il a décidé de créer ses propres concerts de l’OM... à la maison. « J’ai pris le programme qu’on avait prévu, j’ai pratiqué le répertoire et j’ai fait les concerts en jouant mes parties par-dessus un enregistrement, dit-il. Ça me donnait une raison de répéter. »

Jouer seul, pour lui comme pour le tromboniste Pierre Beaudry de l’OSM ou la flûtiste Jocelyne Roy de l’OM, n’est pas la chose la plus motivante en soi. L’instrument de chacun d’entre eux trouve une partie de son sens au sein d’un ensemble plus grand. À ce défi s’en ajoutait un autre pour Simon Bourget : depuis le début du confinement, son seul local de répétition est... son appartement.

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Simon Bourget, corniste à l’Orchestre Métropolitain

« J’utilise une espèce de sourdine que je mets dans la cloche de mon instrument. Ça atténue le son, mais ça provoque vraiment beaucoup de pression sur mes lèvres. Le but, c’est de ne déranger personne [autour], mais ça me dérange, moi ! s’exclame-t-il. J’aimerais ça jouer fort ! »

Garder la forme

Pierre Beaudry regrette de ne plus pouvoir avoir accès aux locaux de répétition de son orchestre, où il se rendait souvent très tôt le matin, mais il dispose d’amplement d’espace dans sa maison pour répéter comme il veut. Et encore peaufiner son jeu.

Avec la maturité — il est à l’OSM depuis presque 40 ans —, ce n’est plus la technique qui le préoccupe, mais l’émotion qu’il peut transmettre. « Le but n’est pas d’impressionner, mais d’émouvoir, dit-il. On cherche à atteindre la profondeur d’âme des gens en exprimant la nôtre. C’est ça qu’ils ressentent lorsqu’ils nous écoutent. »

Pierre Beaudry n’aime pas arrêter de répéter, car il veut se maintenir « en forme musicalement ». Elvira Misbakhova non plus. « Je sais que si j’arrête, ça va me prendre beaucoup de temps pour reprendre la forme que j’avais, dit-elle. Alors je préfère pratiquer. Mais c’est ma vie. Si je ne pratique pas, ça me manque beaucoup. »

Une pause s’avère toutefois nécessaire aux yeux de Simon Bourget, qui s’accorde en général des vacances en août. Jocelyne Roy aussi croit qu’il est nécessaire de s’arrêter à l’occasion. « On se connaît comme musicien, fait-elle aussi valoir. On sait quels exercices faire pour retrouver la forme. »

Enseigner la musique à distance

Aux inquiétudes qui jaillissent dans la tête de tous les musiciens d’orchestre — va-t-on pouvoir jouer comme avant ? Comment jouer en distanciation physique ? — s’en ajoute une autre pour la flûtiste Jocelyne Roy, de l’OM, et la harpiste Jennifer Schwartz, de l’OSM : comment enseigner la musique à distance ?

La fin du trimestre a été plus rock’n’roll que d’ordinaire pour les deux musiciennes, respectivement liées à l’Université de Montréal et à McGill. « J’étais très déçue de devoir enseigner à distance, admet Jennifer Schwartz. Juste d’avoir l’image complète d’une harpe à l’écran, c’est un gros défi. Avoir une bonne image de la personne à la harpe avec ses deux mains et sa technique, c’est très difficile. »

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Jocelyne Roy, flûtiste à l’Orchestre Métropolitain

« Ce n’est pas l’idéal, affirme aussi Jocelyne Roy. La principale difficulté, c’est la qualité du son. On reste dans des considérations plus générales, parce qu’il est difficile de parler de projection du son et de nuances [dans des conditions comme ça]. Ce qui compte, c’est qu’on garde le contact. » Jennifer Schwartz trouve aussi difficile d’entendre les subtilités du jeu de ses élèves dans un cadre d’enseignement à distance.

Il reste que, comme dit la harpiste, « s’arrêter de jouer en orchestre, c’est une chose, mais se rendre compte que ça pourrait être long, c’en est une autre ». Ces musiciennes et musiciens ont beau explorer du répertoire neuf, jouer dans des formations plus petites (Jocelyne Roy et Elvira Misbakhova font d’ailleurs partie du même trio de musique de chambre, Con Moto), le jeu en orchestre manque à tous.

La reprise des activités à l’OSM, qui a enregistré des prestations à la Maison symphonique au début du mois de juin, et le retour en salle de l’OM, le 15 juin à la salle Bourgie, aussi pour des enregistrements destinés à l’internet, sont accueillis avec soulagement par les interprètes. Et beaucoup de joie.

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Jennifer Schwartz, harpiste à l’Orchestre symphonique de Montréal

« L’orchestre symphonique est le plus bel instrument au monde. Durant une performance de l’OSM, c’est près de 100 cerveaux connectés les uns aux autres, dit Pierre Beaudry. Chacun écoute tout le monde et s’ajuste. Tous sont aussi connectés à notre chef qui nous inspire à atteindre cette communion énergétique absolument incroyable. […] C’est là que le miracle se produit et se transporte jusqu’à l’auditoire. C’est ce qui me fascine dans la musique symphonique et qui fait que j’adore mon métier. »