Les musiciens de l’Orchestre métropolitain (OM) ont joué ensemble pour la première fois depuis trois mois cette semaine. Des retrouvailles stimulantes, légèrement déstabilisantes et pleines d’émotion pour le groupe dirigé par Yannick Nézet-Séguin, qui promet des représentations de l’OM devant public dès l’automne.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin

Le projet estival de Yannick Nézet-Séguin et de l’OM : enregistrer en audio et en vidéo les huit premières symphonies de Beethoven pour ensuite les diffuser sur les sites de l’OM et de la salle Bourgie cet été. Cette semaine, pour les retrouvailles de l’orchestre, la deuxième et la quatrième étaient au programme. « C’était très chargé émotivement lundi », a confié le chef en fin de journée mercredi, dernier jour de travail d’un premier bloc de trois – il y en aura trois autres d’ici la fin du mois de juillet, à raison de deux symphonies par séquence. « C’est pour ça que j’avais choisi cette semaine des symphonies ouvertes, joyeuses, énergiques. Pour qu’on soit tous dans une énergie du beau. » Les musiciens étaient-ils rouillés ? « C’est sûr que certains m’ont dit aujourd’hui : “Ah, j’ai l’impression que mon cerveau vient de se réveiller.” Mais je ne l’ai pas senti tant que ça. Tout le monde voulait tellement recommencer à jouer. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’OM a décidé de s’installer en résidence dans la très belle salle Bourgie.

L’OM a décidé de s’installer en résidence dans la très belle salle Bourgie, au centre-ville de Montréal. En respectant les deux mètres de distance entre les 53 musiciens, tout l’espace du parterre était donc occupé. « La distanciation… je ne dis pas que c’est idéal, mais c’est bien moins négatif que je l’aurais cru, dit Yannick Nézet-Séguin. Chacun est responsable de sa partition, et ça crée un son peut-être encore plus large. C’est un drôle de concept, mais il y a plus d’espace dans le son. Au lieu d’être compact, il devient plus aéré, ce qui est physiquement facilement compréhensible. » Pour « combler la distance », le chef explique qu’il avait prévu demander aux musiciens de jouer plus lentement. « Mais on n’y peut rien, le naturel revient, on veut pousser. C’est ce qui est beau dans Beethoven. D’ailleurs, c’est le message derrière cette intégrale : on veut envoyer énormément de bonheur, d’encouragement, d’espoir. Faire du bien à l’âme. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Monica Duschênes, premier violon et membre fondatrice de l’orchestre

Pendant l’enregistrement de la Symphonie no 4 mercredi, les sourires éclairaient les visages de tous les musiciens. « C’est merveilleux de nous retrouver. Un bonheur total », dit Monica Duschênes, premier violon et membre fondatrice de l’orchestre, rencontrée pendant une pause. « On a été super heureux quand ç’a été annoncé, ajoute la violoniste. Mais pas tellement surpris en fait, parce que notre directeur musical a tellement d’initiative, tellement d’énergie, et il y a toute une administration derrière lui. » Si recommencer à faire ce qu’ils font « depuis toujours », soit jouer ensemble, leur fait plaisir, les deux mètres de distance demandent une certaine adaptation. « Ce n’est pas chacun pour soi, mais un peu plus. On ne peut pas se fier au fait de faire de la musique avec la personne à côté de nous. On entend autrement. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Christopher Best, premier violoncelle

Christopher Best, conjoint de Monica Duschênes, estime aussi que les musiciens doivent s’habituer à la distance quand ils jouent. « On est quand même loin. La musique devient un peu plus individuelle », dit le premier violoncelle, qui vante également la persévérance de leur chef. « Je ne pensais même pas qu’on rejouerait avant Noël. Là, c’est un beau projet, monter un orchestre symphonique dans les conditions actuelles. » Yannick Nézet-Séguin raconte avoir travaillé très fort pendant la pandémie pour « garder ça positif, pour avoir des solutions rapides ». « C’est pour ça que je suis content, on récolte les fruits de ça, en étant parmi les premiers à le faire. » Les autres orchestres qu’il dirige à New York et à Philadelphie, précise-t-il, sont loin d’être aussi avancés. « S’il n’y avait pas eu autant d’activités dans le milieu culturel à Montréal, on n’en serait pas là non plus. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Yannick Nézet-Séguin n’est pas à court d’idées et a déjà d’autres projets en branle… dont certains impliquent même la présence « d’un peu de public ».

Yannick Nézet-Séguin n’est pas à court d’idées et a déjà d’autres projets en branle… dont certains impliquent même la présence « d’un peu de public ». « On ne chôme pas ! » Mais quand on voit l’espace qu’occupent une cinquantaine de musiciens placés à deux mètres de distance, on se demande quelle scène montréalaise pourrait bien les accueillir. « À deux mètres, non, mais à 1,5 mètre, comme ce qui s’en vient… On est en train de regarder ça. Et on a déjà des idées de répertoire où on n’a pas besoin d’être 53, on pourrait être une quarantaine. » Ainsi, en prévision de la prochaine saison, l’OM a conservé toutes les dates prévues à son calendrier, mais est en train de réviser sa programmation pour s’adapter aux exigences sanitaires. Et dès que la Santé publique donnera son accord, l’orchestre se préparera à accueillir du public. « Même si c’est 200 personnes qui peuvent rentrer, on est prêts. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Yukari Cousineau, violon solo

Violon solo pour l’OM depuis 10 ans, Yukari Cousineau admet s’ennuyer de jouer devant un public. « C’est ce qui est le plus troublant, ne pas pouvoir jouer en concert. On prépare notre instrument dans ce but, d’être sur scène avec quelqu’un qui écoute. Et là, c’est impossible, ça n’existe plus. Mais il y a autre chose qui se met en branle, on trouve des solutions, un espace qui permet de rentrer tout un orchestre symphonique. Comme dans toute chose qui est un revers, on essaie de voir ce qu’on peut tirer de ça. » Comme apprendre à jouer « chacun dans son îlot », alors que la section des cordes est habituée à beaucoup plus de proximité. « On s’entend, mais on n’entend pas l’autre à côté, la section est répartie sur un plus grand espace, mais ça vient chercher plus d’autonomie de chaque joueur. C’est intéressant, ce que ça donne. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

« Ces trois mois ont paru comme trois ans », dit Yannick Nézet-Séguin.

« Ces trois mois ont paru comme trois ans », dit Yannick Nézet-Séguin. Bien sûr, jouer au moyen de Zoom et faire différentes prestations sur l’internet chacun chez soi ont donné « de la nourriture artistique aux membres ». « Mais si tu décides de consacrer ta vie à un orchestre, c’est parce que tu aimes ça, être grégaire. Ce n’est pas en jouant du piano que je suis tombé amoureux de la musique, c’est quand je me suis mis à chanter dans un groupe à 9 ans. Alors c’est sûr que ça nous a manqué énormément de jouer ensemble. » C’est probablement pour cette raison que les musiciens ont retrouvé rapidement leurs repères. « C’est comme si, pour nous, c’était le juste retour des choses, dit Yukari Cousineau. Même distanciés, on a les mêmes réflexes de groupe. Revenir ensemble après trois mois hyper longs, il y a un naturel qui va avec ça. C’est le retour de l’“ensemble”. »