Quand le prix Nobel de littérature a été attribué à Bob Dylan en 2016, on a voulu souligner sa façon de créer de nouvelles formes poétiques dans la grande tradition de la chanson américaine (oublions la délirante controverse concernant le mérite littéraire de Dylan, je vous laisse votre opinion sur le sujet).

Comme bien des gens qui aiment ses chansons, j’ai pris le temps de lire quelques-uns de ses textes. Je les ai trouvés magnifiques et, étrangement, je me suis même donné la permission de les imaginer portés par d’autres couleurs musicales.

Voilà peut-être un indice de la force d’un texte ?

Ce n’est pas pour rien que plusieurs compositeurs ont visité Clair de lune, de Verlaine, Le roi des aulnes, de Goethe, ou… Cage d’oiseau, de St-Denys Garneau.

Même séparées, la musique et la poésie sont sœurs : la poésie peut sonner comme musique, la musique peut évoquer de manière poétique.

Leurs forces ne sont pourtant pas toujours égales : d’un poème sublime on peut tirer une musique moyenne… ou l’inverse.

Les Quatre saisons de Vivaldi s’inspirent de poèmes descriptifs plutôt banals (anonymes, mais attribués au compositeur lui-même). Pourtant, 300 ans après sa composition, l’œuvre musicale peut encore arracher le plafond, tant elle ouvre de portes à l’imagination et à la virtuosité des interprètes.

Le recueil Gaspard de la nuit, d’Aloysius Bertrand, considéré comme un précurseur de la poésie en prose, me touche bien peu avec ses gnomes, ses châteaux et ses fées. Mais je suis une inconditionnelle de la musique pour piano fébrile et somptueuse que Maurice Ravel en a tirée.

> Extrait de Gaspard de la Nuit No 1, de Maurice Ravel

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Le compositeur montréalais Simon Bertrand, amoureux de poésie depuis la fin de l’adolescence, admet que la musique sans paroles, inspirée d’un texte poétique, assure un maximum de liberté créatrice. Quand il s’agit de mettre le même texte en musique, tout se complique.

Il a tout de même osé le faire à plusieurs reprises, sur des textes de Paul Auster, Italo Calvino et Hélène Dorion, entre autres. De cette dernière, il a mis en musique trois courts poèmes, une œuvre créée par la soprano Marianne Lambert.

« L’équilibre entre l’intelligibilité du texte et le lyrisme est toujours délicat, dit Simon Bertrand. Les sweet notes d’une voix chantée, celles qu’on veut entendre pour leur beauté, ne seront pas les plus porteuses pour les mots. D’un autre côté, privilégier la compréhension du texte en utilisant un style très récitatif est souvent une erreur. »

Il y a une troisième voie à emprunter, et c’est ce qu’il fait en ce moment, de nouveau avec la poète Hélène Dorion, pour le prochain concert des Violons du Roy présenté le 19 mars au Palais Montcalm de Québec et le lendemain à la Salle Bourgie.

Pas de chanteurs au programme : la poète elle-même sera la soliste, disant ses textes sur ou entre des pièces jouées par les cordes. Schubert, Arvo Pärt, Janacek et Philip Glass sont au programme, en plus de la musique créée sur mesure par Simon Bertrand.

Hélène Dorion a été au cœur de tous les choix musicaux. Elle a testé bien des œuvres, les choisissant soigneusement. « Quand les textes se superposent à la musique, il faut créer un espace de transparence. Le poème doit être totalement entendu, sans qu’il cache lui-même la musique. Celle-ci n’est pas là pour illustrer : chaque entité existe, et il se crée une troisième entité, par la rencontre du texte et de la musique. »

C’est ce qu’elle a cherché avec Simon Bertrand, qui a créé la musique pour 11 des poèmes de son plus récent recueil, Comme résonne la vie.

« J’ai utilisé trois approches différentes, explique le compositeur. Quand le poème est superposé à la musique, j’ai créé des trames plutôt stables harmoniquement et sans sursaut rythmique. Je les vois comme un décor émotif pour le poème. »

Pour d’autres textes, le compositeur a choisi d’en transposer musicalement un aspect, une montée ou une descente par exemple : certaines images poétiques peuvent ainsi « s’entendre ».

Troisième cas de figure, la musique se présente parfois comme un commentaire plus abstrait, en dialogue avec le poème.

Hélène Dorion insiste : « Le poème n’a pas besoin de musique, mais on souhaite créer quelque chose d’inédit par la rencontre des deux. »

La poète est captivée par les œuvres qui réussissent cette rencontre entre poésie et musique. Un exemple ? « Il y en a tant ! J’ai beaucoup écouté les cantates de Bach, plus jeune. Schubert, bien entendu, puis Sibelius qui a écrit des poèmes symphoniques extraordinairement évocateurs. »

Elle termine en évoquant Hermann Hesse, mis en musique par Richard Strauss. Son lied préféré : September. Effectivement, quand il est question ici de l’été qui sourit, fatigué, « dans le jardin de rêve qui se meurt », Strauss crée un mélange d’une langueur sublime.

> Extrait de Four Last Songs N2. September, de Richard Strauss

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Oui, un et un font parfois trois.

> Consultez le site des Violons du Roy