(PHILADELPHIE) Une femme élégante, la jeune soixantaine, cheveux blonds coupés au carré, descendait timidement l’allée de la salle de concert, son mari à un bras, son violon sous l’autre. Elle semblait hésiter. Son mari lui a murmuré à l’oreille ce qui devait être des mots d’encouragement. Elle lui a confié son manteau et elle est montée sur scène s’asseoir parmi les seconds violons, derrière un garçon d’à peine 10 ans.

Des dizaines de parents, grands-parents, frères, sœurs et amis sont venus assister au concert atypique et sympathique samedi de ces musiciens amateurs – élèves, professeurs, retraités –, jumelés à des professionnels de l’Orchestre Métropolitain et de l’Orchestre de Philadelphie, sous la baguette de Yannick Nézet-Séguin, à l’occasion de l’activité communautaire PlayIN.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE L’ORCHESTRE DE PHILADELPHIE

Des élèves, des professeurs et des retraités sont montés sur la scène du Kimmel Center samedi, accompagnés de l’Orchestre Métropolitain et de l’Orchestre de Philadelphie.

Une violoniste préadolescente prénommée Calliope – la muse de la poésie épique dans la mythologie grecque – se trouvait seule sur sa chaise, au beau milieu de la scène du Kimmel Center. Myriam Pelletier, violoniste de l’OM – et jeune maman d’une fillette de 2 ans –, est allée la rejoindre pour lui tenir compagnie. « Elle ne jouait pas toutes les notes, bien sûr, mais elle se débrouillait très bien ! », m’a confié Myriam.

C’est une chance inouïe pour une jeune fille – qui joue du violon depuis six ans – de se retrouver dans un contexte pareil, dans la salle la plus prestigieuse de sa ville, aux côtés de musiciens de l’un des orchestres les plus réputés de la planète, à interpréter des extraits d’œuvres de Grieg, de Bach et de Tchaïkovski sous la direction du jeune chef le plus célébré du moment.

Ils étaient d’ailleurs émouvants à voir et à entendre, ces musiciens de tous les horizons ayant pour passion commune les instruments à cordes (violons, altos, violoncelles, contrebasses). « J’aime beaucoup les altos, pour toutes sortes de raisons ! », a d’ailleurs laissé entendre Yannick Nézet-Séguin (sans révéler que l’une de ces raisons est que son amoureux est altiste à l’OM). Le chef portait des baskets noirs chatoyants et s’est arrêté un moment devant un musicien aux souliers dorés, une autre passion commune.

« Il y a parmi vous des élèves que je connais déjà, a-t-il ajouté. J’ai hâte de vous entendre ! » Il a aussitôt enchaîné avec le prélude de la Suite Holdberg de Grieg, enjoué et expressif dans ses gestes… mais peut-être pas assez à son goût. « J’ai été très conservateur, et je ne parle politique !, dit-il rieur et amène avec son orchestre d’un jour. Je pense qu’on peut jouer plus rapidement. Allons-y une autre fois. Amusons-nous ! »

Caméras vidéo et téléphones intelligents étaient fixés sur les musiciens, les parents ne ratant pas une occasion de croquer sur le vif leurs proches dirigés par Nézet-Séguin. Le chef, agitant les bras vers les spectateurs au terme d’un extrait d’un Concerto brandebourgeois de Bach, les a appelés à applaudir plus fort l’orchestre. Puis il a cédé sa place sur le podium à son chef assistant et collaborateur artistique de l’OM, Nicolas Ellis.

« Au Québec, cette œuvre est devenue l’hymne de la chaîne de pharmacies Jean Coutu ! », a annoncé le jeune chef de 28 ans, le sourire en coin, en présentant Eine kleine Nachtmusik de Mozart. Nézet-Séguin, qui l’observait depuis le côté de la scène, n’a pu retenir son rire.

Pianiste de formation originaire de Chicoutimi, Nicolas Ellis est le directeur artistique de l’Orchestre symphonique de l’Agora, qu’il a fondé en 2012 dans la foulée de la grève étudiante. Il a dirigé une dizaine de concerts de l’Orchestre Métropolitain au cours de la dernière année et est, à l’évidence, un précieux collaborateur de son mentor Nézet-Séguin.

« Trouves-tu que la timbale est trop forte ? », a demandé depuis le podium, pendant la répétition générale de vendredi à Carnegie Hall, le chef à son assistant, qui était assis au milieu de la salle. Nicolas Ellis ne trouvait pas. Au cours de la présente tournée américaine, il donne son avis à Nézet-Séguin sur le son de l’orchestre, qui varie selon les différents amphithéâtres.

« Parfois, ce qui semble exagéré lorsqu’on est sur scène sonne parfaitement dans la salle, m’a-t-il expliqué samedi matin, dans l’autocar qui nous menait de New York à Philadelphie. J’apprécie tous les concerts, mais j’essaie de les écouter avec une oreille critique. Je donne un feedback sur tout, en voyant ce qu’il est possible de pousser encore plus loin, pour que chaque fois, le niveau d’excellence soit surpassé. »

PHOTO FRANÇOIS GOUPIL, FOURNIE PAR L’OM

Yannick Nézet-Séguin et Nicolas Ellis

Il y a manifestement, entre les deux chefs, une communauté d’esprit doublée d’une franche camaraderie. Ils s’échangeaient des plaisanteries et rigolaient ensemble, sur scène, hier après-midi au Kimmel Center. 

« Il y a une confiance qui est là à la base, croit Nicolas Ellis, parce que Yannick sait que j’ai déjà travaillé avec l’orchestre et que les musiciens ont apprécié ce que j’ai fait avec eux. Je me trouve très chanceux et privilégié d’avoir ce lien de confiance avec lui. Qu’il me demande mon opinion, qu’il soit très à l’écoute, c’est pour moi un grand exemple d’humilité. Parce qu’évidemment, je n’ai pas du tout son expérience et son métier. Il est d’une autre planète ! Qu’il prenne mon travail au sérieux me pousse à donner le feedback le plus juste et le plus réfléchi. »

Au nom du père

Dans sa biographie sur Twitter, Yannick Nézet-Séguin se décrit comme le « père » de l’Orchestre Métropolitain, de l’Orchestre de Philadelphie et du Metropolitan Opera. En début de soirée hier, le paternel avait convié ses deux familles à une fête informelle, entre la formule « pot-luck » et le 5 à 7 traditionnel. Les musiciens de l’Orchestre de Philadelphie avaient confectionné des desserts pour les musiciens de l’OM, prétexte à échanger sur le métier.

Le maestro se plaisait dans son rôle d’entremetteur, butinant d’un corps de musiciens à un autre, en saluant la générosité de son orchestre pennsylvanien d’accueillir ainsi leurs confrères et consœurs « venus du Nord ». « La musique est faite pour construire des ponts », a-t-il résumé, acclamé par tous les musiciens.

Cette chouette réception avait lieu au Kimmel Center, juste avant un concert de l’Orchestre de Philadelphie que le Montréalais ne dirigeait pas hier. L’Orchestre de Philadelphie compte parmi les plus prestigieux au monde, mais était quasi au bord de la faillite lorsque Nézet-Séguin en est devenu le directeur musical en 2012. Aujourd’hui, il a retrouvé son lustre d’antan et revient tout juste d’une tournée asiatique, notamment au Japon et en Corée du Sud.

Le Kimmel Center se trouve sur Broad Street, la célèbre rue des « Bullies » des années 70, les Flyers de Philadelphie de Bobby Clarke et Dave Schultz. Elle est aussi surnommée « l’avenue des Arts », ce que Moose Dupont et mes collègues du cahier des Sports se gardent bien de nous rappeler. Yannick Nézet-Séguin, lui, est tout le contraire d’un « bully ».

« Je suis tombé en amour avec l’idée de faire de la musique ensemble, a-t-il dit aux jeunes et moins jeunes musiciens, au terme de l’activité PlayIN. Nous sommes ici ensemble comme une famille, même si nous ne nous connaissons pas. Nous aspirons à quelque chose de plus grand, le pouvoir de la musique, en ce week-end d’amitié entre nos deux orchestres. »

Galvanisés par leur mémorable prestation new-yorkaise de vendredi, les musiciens de l’OM présenteront l’ultime concert de leur première tournée américaine, ce dimanche après-midi, à Philadelphie. En famille, plus que jamais.