En jouant le cycle complet des neuf symphonies de Ludwig van Beethoven, l'Orchestre symphonique de Montréal et son chef Kent Nagano nous proposent une plongée dans ces oeuvres, dans les idées qui les sous-tendent et dans le contexte historique de leur composition, de 1799 à 1824. Nous avons demandé au maestro Nagano de commenter brièvement chacune de ces symphonies.

Symphonie NO 1 en do majeur, pp. 21 (1799-1800): «Rébellion»

«Beethoven avait un talent extrême. Il avait quitté Bonn et s'était installé à Vienne afin d'y étudier avec Haydn et Salieri, et il a pris contact avec Mozart. Après avoir eu pas mal de succès en musique de chambre, il a écrit sa première symphonie au seuil de la trentaine. Ce fut une véritable percée. Il maîtrisait les techniques de ses devanciers et il a décidé d'imposer ses propres idées et habiletés techniques en écriture. On constate qu'il a préservé la base de la forme sonate, mais qu'il n'a pas respecté les règles antérieures de la symphonie. On le voit notamment dans la lente introduction du premier mouvement. Au lieu d'un deuxième mouvement lent, il a fait quelque chose de très lyrique. Au lieu d'un menuet, au troisième, il a fait un scherzo. Bref, il a cassé les règles de la symphonie. Ce fut un acte de rébellion.»

Symphonie NO 2 en ré majeur, op. 36 (1801-1802): «Représentation»

«Beethoven a imaginé cette deuxième symphonie de manière à représenter la société, les êtres humains et leur communauté. Cette oeuvre peut aussi être perçue comme une représentation de tout le changement social qui survenait au tournant du XIXsiècle : début de la révolution industrielle, interactions sociales plus urbaines, et donc moins rurales. Dans ce contexte, on observe que le compositeur puise largement son inspiration dans l'opéra italien et des formes de danse populaire. Il y a aussi cette idée de lyrisme et de style cantabile dans la deuxième symphonie, autre exemple de la représentation de son époque.»

Symphonie NO 3 en mi bémol majeur, op. 55, dite Symphonie héroïque (1803-1804): «Idée dramatique»

«Beethoven a constaté que Napoléon envisageait de bombarder Vienne pour ensuite l'occuper. Beethoven a été tellement déçu qu'il a refusé de dédier sa symphonie à Napoléon, comme il l'avait projeté au départ, alors qu'il le croyait prêt à défendre les idéaux de la Révolution française et les principes de liberté, égalité, fraternité. La symphonie évoque plutôt le héros universel. Ainsi, cette oeuvre illustre les idées de guerre, avec les marches militaires, la mort, avec la marche funèbre, la puissance du peuple, avec un thème folklorique assorti de longues variations... Voilà en somme une vaste métaphore du changement, et aussi une expansion de la forme symphonique dans sa durée - près de 50 minutes. On voit ici une véritable évolution dans l'écriture de Beethoven.»

Symphonie NO 4 en si bémol majeur, op. 60 (1806): «Perfection technique»

«Cette quatrième symphonie est très différente des précédentes. Elle marque un retour aux principes et aux formes antérieures de la symphonie, hérités de Haydn et de Mozart. Plutôt que de miser sur des idées grandioses et dramatiques, Beethoven s'est alors imposé sur le plan purement technique. Avec cette quatrième symphonie, il a fait la démonstration qu'il pouvait concevoir avec facilité et fluidité une oeuvre faite à l'ancienne mais absolument parfaite... tout en restant complètement Beethoven. Par le fait même, il posait la question des motifs du changement bénéfique, celui qui faisait avancer le langage.»

Symphonie NO 5 en do mineur, op. 67 (1805-1807): «Volonté du genre humain»

«Trois croches et une blanche, voilà le petit élément mélodique autour duquel il a construit cette oeuvre si importante. Un thème? Un motif? Une mélodie? À l'époque, la simple exposition de cette suite de notes était radicale! En fait, il y a tellement de percées avec cette cinquième symphonie! Pour moi, c'est une nouvelle façon de construire un édifice majestueux ; des clous qu'on enfonce, des briques que l'on pose, l'illustration de la volonté de l'humain. Il faut rappeler que Beethoven était alors en train de devenir sourd. Par sa seule volonté, donc, il a réussi à écrire ces grandes symphonies qui restent aujourd'hui ancrées dans notre imaginaire.»

Symphonie NO 6 en fa majeur, op. 68, dite Symphonie pastorale (1808): «Nature»

«La relation de l'individu et de la société avec la nature est au centre de cette oeuvre. À l'époque de sa conception, la nature était en train d'être détruite dans la région viennoise; la forêt autour de la ville n'existait plus, la pollution était extrême dans les cours d'eau environnants, l'industrialisation avançait à grands pas, le progrès avait un coût. Voilà l'idée maîtresse portée par cette symphonie évoquant un souvenir de jadis, la mémoire et l'idéalisation de ce qui était avant - promenade en forêt, fêtes et danses paysannes, etc. Voilà un énorme contraste par rapport aux cinq premières symphonies de Beethoven.»

Symphonie NO 7 en la majeur, op. 92 (1811-1812): «Liberté»

«Napoléon était en voie d'être neutralisé, à l'époque de la composition de cette oeuvre, qui exprime la liberté de s'exprimer dans un monde complètement ouvert. La symphonie commence dans une tonalité éclatante de la majeur, et le premier thème est mis de l'avant par la flûte. C'est la danse, c'est l'exubérance, c'est la joie totale, c'est aussi la force évoquée par le rythme. Il y a aussi dans cette oeuvre des références aux conflits vécus durant cette période, mais la joie et la liberté la dominent très clairement.»

Symphonie NO 8 en fa majeur, op. 93 (1812): «Ironie»

«Beethoven s'est associé aux mouvements de libération. Il était alors suivi par la police secrète de l'empereur François II, qui reprenait le contrôle de la région après les déboires de Napoléon. On avait alors confiné le compositeur à domicile; il ne pouvait quitter Vienne. On imagine que ce fut pour lui une intrusion totale dans son mode de vie. Avec cette symphonie, il a répondu à cela avec une ironie terrifiante: valse caricaturale et incisive, finale deux fois plus rapide que d'ordinaire, au point qu'on n'entend plus la note... sorte de bégaiement! C'était vraiment de l'ironie.»

Symphonie NO 9 en ré mineur, op 125 (1817-1824): «Ouverture vers l'avenir»

«À la fin de sa vie créative, Beethoven était arrivé aux frontières de tous les possibles avec cette forme symphonique à quatre mouvements. Il avait certes conservé cette forme, mais il l'avait aussi cassée en y intégrant le chant au dernier mouvement, mouvement construit à partir du fameux texte de Schiller [l'Ode à la joie] avec ce message: les humains vivent la joie d'être frères et soeurs, celle d'être libres et égaux. Il avait cette façon d'inclure la communauté humaine dans la symphonie en la faisant incarner par le choeur et les solistes. Voilà une façon alors révolutionnaire de repousser les frontières de la forme et ainsi créer une nouvelle ouverture vers l'avenir. Cette neuvième symphonie était tellement visionnaire que certains critiques ne l'ont pas comprise, se désolant que le maître ait perdu l'ouïe pour imaginer des sonorités si étranges!»

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Horaire des concerts à la Maison symphonique 

Le 27 mai, 14 h 30, et le 28 mai, 20 h: Symphonie no 4 en si bémol majeur, op. 60 (34 minutes); Symphonie no 5 en do mineur, op. 67 (31 minutes)

Le 29 mai, 20 h: Symphonie no 2 en ré majeur, op. 36 (32 minutes); Symphonie no 6 en fa majeur (Symphonie pastorale), op. 68 (39 minutes)

Le 30 mai, 19 h: Symphonie no 8 en fa majeur, op. 93 (26 minutes); Symphonie no 7 en la majeur, op. 92 (36 minutes)

Le 31 mai: Symphonie no 1 en do majeur, op. 21 (26 minutes); Symphonie no 3 en mi bémol majeur (Symphonie héroïque), op. 55 (47 minutes)

Le 1er juin, 20 h, et le 2 juin, 20 h: Elegischer Gesang («Chant élégiaque») op. 118 (5 minutes); Symphonie no 9 en ré mineur, op. 125 (65 minutes)

Avec Erin Wall, soprano, Allyson McHardy, mezzo-soprano, Joseph Kaiser, ténor, Petri Lindroos, basse, et le choeur de l'OSM sous la direction d'Andrew Megill