Si vous avez toujours voulu savoir comment pouvait se dérouler la rencontre entre un orchestre symphonique et un soliste venu d'ailleurs, dites-vous que tout passe essentiellement par la musique. J'ai assisté, plus tôt cette semaine, à la répétition qui réunissait le violoniste Augustin Hadelich et l'Orchestre symphonique de Montréal en vue du concert présenté ce soir dans le cadre du Festival nordique.

Après avoir joué dimanche soir à Manchester, en Angleterre, Hadelich a posé le pied à Montréal, lundi vers 15 h. Deux heures plus tard, son Stradivarius sous le bras, il se pointait sur la scène de la Maison symphonique en compagnie du chef invité John Storgårds. Ce dernier a brièvement présenté le virtuose aux musiciens qui ont exprimé leur joie en tapant du pied. Le chef a levé les bras et tout ce beau monde a plongé illico dans le sublime Concerto pour violon en ré majeur de Tchaïkovski. Le langage du quatrième art faisait son oeuvre.

Immédiatement après la première grande envolée du soliste, l'orchestre a fait entendre le célèbre thème du concerto (le seul que le composteur russe ait composé pour le violon). Augustin Hadelich a alors savouré cet instant en souriant. 

Installé avec lui dans un salon après la répétition, je lui ai d'abord demandé si ce moment était pour lui la première occasion de vérifier la richesse de l'orchestre.

«En fait, dès les premières secondes, je peux voir ce dont un orchestre est capable. Pour être franc, je souris toujours durant ce passage. Il me procure le sentiment d'être arrivé au sommet de la montagne. C'est comme si j'étais en haut d'une montagne et que le vent entrait dans mes cheveux.»

Celui que le magazine Musical America a récemment sacré «instrumentiste de l'année» remplace la violoniste Hilary Hahn qui, enceinte de son deuxième enfant, a dû annuler sa présence à Montréal. On a pensé à Augustin Hadelich qui a une longue histoire avec ce concerto pour violon considéré par plusieurs comme étant le plus difficile du monde.

Fait à noter: ce n'est pas la première fois que Hadelich et Storgårds, le chef d'origine finlandaise au pupitre ce soir, sont réunis autour de cette oeuvre. «Nous avons présenté ce concerto tous les deux il y a deux ans à Vancouver, raconte Augustin Hadelich. Je dois dire que ma présence à Montréal n'a pas été facile à insérer dans mon calendrier. Mais j'avais très envie de venir dans le cadre de cet évènement spécial.»

Vu comme l'un des plus grands musiciens de sa génération, Augustin Hadelich a choisi de vivre à New York il y a 14 ans après des études à la Julliard School. Il s'empresse de préciser qu'il a fait sa formation en même temps qu'Andrew Wan, violon solo de l'OSM. Les deux violonistes semblaient d'ailleurs très heureux de se retrouver après la répétition de lundi.

Né en Allemagne, Augustin a passé le plus clair de son enfance en Italie. Son père, musicien, lui a enseigné dès l'âge de 5 ans les rudiments du violon. Le garçon a rapidement montré des aptitudes. Mais un accident, survenu quand il avait 15 ans, est venu freiner l'élan du jeune virtuose. L'incendie d'un tracteur, dans le vignoble que possèdent ses parents, a brûlé le visage et le haut du corps de l'adolescent. Quant à ses bras, ils ont perdu de leur agilité et de leur souplesse. Plusieurs greffes cutanées ont été nécessaires. Quand j'aborde cette difficile période de sa vie, les yeux d'Augustin Hadelich s'embuent.

«Quand j'ai recommencé à rejouer du violon, un an après l'accident, mes doigts se souvenaient de ce qu'il devaient faire, mais j'ai réalisé que je devais travailler très fort pour les aider. Au bout de trois ans de travail, j'ai repris confiance.»

«Cette expérience m'a permis de remettre les choses en perspective. Cela m'a permis de voir quelle place prenait la musique dans ma vie et qu'elles étaient mes véritables valeurs.»

Je lui demande s'il croit être un combattant. Il est gêné par ma question et l'esquive. Je récidive en lui disant qu'il est sans nul doute une grande source d'inspiration pour beaucoup de jeunes qui connaissent une épreuve difficile à l'adolescence.

«Vous croyez vraiment? Je ne sais pas, je n'ai jamais vu les choses comme ça. Je sais tout simplement qu'après cet accident, j'ai voulu rapidement m'en sortir. J'ai réalisé que perdre lors d'une compétition ou d'un concours, ce n'était vraiment pas grave. Il est clair que je suis ressorti de cette expérience beaucoup plus fort.»

Augustin Hadelich vient d'avoir 34 ans. Il multiplie les voyages pour jouer sur toutes les scènes du monde. Son répertoire est vaste. Quant aux prix et aux honneurs qu'il a remportés, on ne les compte plus. Serait-il en train de vivre la plus belle période de sa vie? 

«Je crois que je pourrai mieux vous décrire ce que je vis en ce moment dans une dizaine d'années. Chose certaine, la différence entre le musicien que je suis aujourd'hui et celui que j'étais à 20 ans, c'est l'expérience. Cette expérience est basée sur les oeuvres que j'ai interprétées, mais aussi sur les chefs que j'ai rencontrés.»

La première fois qu'Augustin Hadelich a commencé à travailler le Concerto en ré majeur de Tchaïkovski, il avait 8 ans. Et la première fois qu'il l'a interprété, il en avait 13. 

«C'est ça qui est merveilleux quand on est musicien. On peut interpréter la même oeuvre plusieurs fois dans une vie et, chaque fois, l'expérience est différente. Je ne me lasse pas d'interpréter ce concerto.»

Le violoniste ne s'en cache pas: il n'aime pas trop répéter seul dans une chambre d'hôtel. «Mais avec ce concerto, on n'a pas le choix. Il faut constamment le répéter, dit-il. Moi, ce que j'adore, c'est jouer devant un public. Le véritable plaisir est là. J'aime cela, car il y a un contact avec des gens, les musiciens et le public. D'ailleurs, quand ça fait une semaine que je n'ai pas donné de concert, je sens qu'il y a quelque chose qui me manque.»

Gravir la montagne et parvenir à son sommet, voilà une image qui résume fort bien la vie et la carrière de ce musicien. Pensez à cela ce soir lorsque cet homme ultra sympathique et doté d'un immense talent vous transportera avec lui au pinacle de la musique.

_________________________________________________________________________

À la Maison symphonique ce soir, 20 h, dans le cadre du Festival nordique.

Programme

Geysir, de Jón Leifs

Concerto pour violon en ré majeur, de Tchaïkovski

Aurora borealis, d'Uuno Klami

Symphonie no 7 en do majeur, de Jean Sibelius