L'enseigne d'autrefois brille au soleil sur la vieille maison, annonçant une «fabrique de machines». Dans cet atelier du village de Divisov, près de Prague, sont fabriquées des répliques de pianos anciens pour des virtuoses à la recherche d'un son authentique.

Depuis 1998, plus de 200 copies de pianos utilisés par Wolfgang Amadeus Mozart, Joseph Haydn ou Robert Schumann ont quitté cet atelier situé à environ 40 kilomètres au sud-est de la capitale tchèque.

«L'authenticité, c'est la seule chose qui compte dans la reproduction de ces instruments», explique leur constructeur Paul McNulty, un Américain d'origine irlandaise de 64 ans.

«Si le facteur de pianos d'origine passe devant mon instrument, je ne veux pas qu'il fronce les sourcils», ajoute en riant cet homme aux petites lunettes rondes, qui le font ressembler à John Lennon.

L'Italien Bartolomeo Cristofori a inventé l'ancêtre du piano - le pianoforte - vers 1700. Les pianofortes ont été fabriqués jusqu'au 19e siècle et utilisés par des compositeurs baroques, romantiques et classiques.

Ils ont ensuite été remplacés par le piano moderne, plus lourd avec un cadre métallique.

Aujourd'hui, certains pianistes en quête d'un retour aux sources du son - «Jouer du Mozart sur un piano de Mozart» - font la clientèle de M. McNulty.

Cet Américain a d'abord étudié la guitare, puis a obtenu un diplôme d'accordeur de pianos, avant de se former au métier de facteur de pianoforte dans un atelier de Boston, aux États-Unis. Diplôme en poche, il a proposé au propriétaire de cet atelier de travailler pour lui au prix d'un dollar de l'heure. «Il ne pouvait pas dire non. Il m'a montré comment aiguiser une lame et une osmose s'est produite», raconte-t-il.

«Travail de détective»

Le bâtiment de Divisov est rempli de copies de pianos réalisés à l'origine par Johann Andreas Stein, Jean-Louis Boisselot ou Anton Walter, le facteur de pianos de Mozart.

Paul McNulty produit entre dix et quinze pianos par an, consacrant entre 800 et 6000 heures de travail à chacun d'eux, vendus ensuite 30 000 euros pièce au minimum et garantis à vie.

S'il a déménagé en 1995 en République tchèque après une étape aux Pays-Bas, c'est parce qu'il recherchait des épicéas de qualité: «La forêt de Schwarzenberg dans les montagnes tchèques de Sumava est la source originale» de bois pour les facteurs de pianoforte à Vienne et ailleurs, explique l'artisan, devenu Tchèque récemment.

«Je prends un arbre et je le coupe en huit morceaux qui restent ensuite dans mon jardin pendant cinq à dix ans. Puis je les découpe pour en faire des tables d'harmonie», dit-il à l'AFP.

McNulty utilise également des cordes en fer et non en acier, et les têtes de marteau sont recouvertes de peau de mouton à poils, une race peu commune, proche des moutons élevés il y a trois siècles. Mais «ils ont maintenant plus de laine, donc la texture de la peau a changé», explique-t-il, «C'est un travail de détective pour coller au design original».

«Génie»

Ancien guitariste et luthiste, il confesse ne pas savoir jouer du piano, mais disposer cependant d'une testeuse très compétente: sa femme Viviana Sofronitsky, virtuose du pianoforte et fille du pianiste russe Vladimir Sofronitsky.

«Je ne suis pas une personne romantique et je pensais que je ne pouvais pas jouer de musique romantique. Mais ensuite j'ai commencé à jouer sur ce piano et j'ai réalisé à quel point c'était beau et facile» avec cet instrument, dit-elle à l'AFP.

Elle a commandé un jour un pianoforte à McNulty après avoir joué d'un de ses instruments à l'Université Harvard, et quand elle est venue le chercher à l'atelier, elle y est restée.

«Paul est un génie, ces instruments rendent la musique vivante, ils permettent aux gens qui n'aiment pas la musique classique de découvrir tout un univers», estime-t-elle.

Parmi les clients de l'atelier figurent des virtuoses, des universités, des conservatoires ou des institutions telles que l'Institut Frédéric Chopin de Varsovie, qui a récemment acheté à McNulty sa copie d'un pianoforte de Fryderyk Buchholtz, un facteur varsovien du début du 19e siècle.

«Pour moi, Paul McNulty est l'incarnation du maître idéal, qui prend le meilleur des créateurs de différentes époques», estime le pianiste russe Alexei Lubimov. «C'est un maître capable de voyager dans le temps comme s'il avait des bottes magiques, il peut passer de l'époque de Mozart à celle de Chopin, puis revenir de Brahms à Beethoven».

Rejetant toute idée de retraite - «Demandez-moi dans 10 ans!» - Paul McNulty rêve de reproduire un piano Graf tardif utilisé par le compositeur allemand Robert Schumann, et reste humble. «Je suis heureux d'être un assistant de scène, c'est ma fonction, je suis heureux si le piano fonctionne», dit-il.

«Tout ce qui se passe à la cuisine, en coulisses, c'est juste du travail, et vous êtes heureux si vous faites du bon travail. Je suis heureux ainsi».