Fondateur et directeur artistique de l'Orchestre symphonique de l'Agora, le jeune chef dirigera l'Orchestre Métropolitain dans l'interprétation des Planètes de Holst fin avril.

À la tête d'un orchestre symphonique constitué d'étudiants en grève, le tout jeune Nicolas Ellis prenait la pleine mesure de son leadership en cette soirée magique du 14 mai 2012. Au plus fort du mouvement étudiant, cet Orchestre de la Solidarité Sociale avait triomphé dans une église Saint-Jean-Baptiste chauffée à blanc par les carrés rouges l'ayant remplie.

«Tout un buzz! se rappelle-t-il. Nous avions interprété la Symphonie n5 de Chostakovitch et l'Ouverture 1812 de Tchaïkovski. Nous avions donné un autre concert qui comprenait la Symphonie n9 de Dvořák et l'ouverture Coriolan, op. 62, de Beethoven. Beaucoup de jeunes musiciens (dont moi-même) ont acquis une conscience sociopolitique dans ce contexte.»

Aujourd'hui âgé de 26 ans, le maestro des carrés rouges a fait durer l'expérience à travers l'Orchestre symphonique de l'Agora dont il est le fondateur. Il est aussi chef assistant à l'Orchestre symphonique de Québec pour la troisième et dernière année, il dirige à l'occasion l'Orchestre Métropolitain en tant que chef invité, sans compter les embauches auprès de formations locales, nationales, très bientôt étrangères.

De pianiste à chef d'orchestre

Bien au-delà de l'engagement social qui a favorisé son émergence, Nicolas Ellis se trouve parmi les rares musiciens québécois de formation classique ayant la capacité de marquer leur génération, et plus encore.

Il a grandi à Chicoutimi, devenu Saguenay comme on le sait... «là là»! Or, Nicolas Ellis n'est pas un pur bleuet: ses parents s'étaient installés dans la région pour oeuvrer au sein du respectable Quatuor Alcan, devenu le Quatuor Saguenay - le violoncelliste américain David Ellis, originaire de la grande région de Burlington, au Vermont, et la violoniste montréalaise Nathalie Camus.

Formé au Conservatoire de Saguenay, Nicolas a mené des études pianistiques avec Monique Robitaille et Jacinthe Couture. Il a poursuivi sa formation à la faculté de musique de l'Université de Montréal, avec Jean Saulnier. Il devait poursuivre l'élévation de son jeu avec le pianiste virtuose Dang Thai Son et... la vie l'a mené ailleurs.

«Pendant que je faisais mon baccalauréat en piano, je dirigeais des formations à géométrie variable. Je le faisais toujours pour des causes humanitaires. L'aventure a commencé en 2011... L'année suivante, elle a pris une tout autre ampleur avec le mouvement étudiant.»

Et comment! Ce cumul d'expériences musico-militantes a convaincu Nicolas Ellis d'étudier la direction d'orchestre plutôt que de devenir pianiste. Il s'est inscrit au programme de maîtrise à l'Université McGill, où il a travaillé avec le maestro Alexis Hauser. Après quoi il a été sélectionné comme chef assistant de l'Orchestre symphonique de Québec (OSQ). «Ainsi, je réside toujours à Montréal, mais je vais régulièrement à Québec pour travailler à l'OSQ sous la direction de Fabien Gabel, l'un de mes deux mentors.»

Qui est son autre mentor? Yannick Nézet-Séguin.

«Pendant mes études de maîtrise, je suis allé l'observer plusieurs fois avec l'Orchestre Métropolitain. On a commencé à se connaître, il a aussi entendu parler de mon travail à travers mes projets. Il m'a alors invité à diriger l'OM - l'été dernier, par exemple, j'ai fait une tournée de cinq concerts, dont un le 20 juillet sur le mont Royal. J'ose affirmer que j'ai une très belle relation professionnelle avec Yannick. Je le crois extrêmement talentueux, ne serait-ce que pour sa façon très naturelle de communiquer avec les musiciens et de les mener à se surpasser.»

Mandat social et artistique

Parallèlement à sa formation, Nicolas Ellis a fait évoluer ses propres projets et son engagement social en fondant l'Orchestre symphonique de l'Agora, qui en est à sa cinquième année d'existence.

«Pendant la grève étudiante, j'ai réalisé qu'il était possible de rassembler jusqu'à 90 musiciens et d'offrir des concerts de qualité. Je n'étais pas le seul : la grande majorité d'entre nous avons voulu continuer à lier notre passion pour la musique à notre engagement social, essentiellement humanitaire.»

Ainsi, sans financement public (seuls des commanditaires privés, principalement Canimex), l'Orchestre symphonique de l'Agora (OSA) présente des concerts dont 80 % des revenus de billetterie sont remis à des causes diverses: aide médicale à la Palestine, Aide internationale pour l'enfance, Porteurs de musique (dans les milieux où elle n'est pas accessible), Carrefour musical Laval, on en passe.

Le mandat social de l'OSA, insiste Nicolas Ellis, est indissociable de son mandat artistique: «explorer le répertoire, essayer de nouvelles choses, repenser le modèle traditionnel de l'orchestre symphonique et alimenter autrement la vie culturelle en musique classique à Montréal».

Pour cela, le jeune chef et ses interprètes y vont aussi «à l'instinct», explorant le répertoire de toutes époques, toutes nationalités, toutes tendances. Durant sa courte existence, l'OSA a fait dans la musique russe (Stravinsky, Chostakovitch), française (Debussy, Saint-Saëns), allemande (Beethoven, Brahms, Mahler, Mendelssohn), hongroise (Bartók) ou québécoise (Aïrat Ichmouratov). Des solistes de renom y ont collaboré, comme la harpiste Valérie Milot ou le violoniste Andrew Wan.

Intitulé Da Ponte bien culotté, le prochain concert de l'OSA sera présenté au Théâtre Corona, en collaboration avec l'Atelier lyrique. «Ce concert se fonde sur la vie décadente d'un librettiste italien de Mozart, Lorenzo da Ponte, ce qui nous permet de présenter un concert audacieux, je dirais même un peu provocateur. Ainsi, nous reprenons des airs des trois opéras italiens de Mozart dont les livrets ont été écrits par da Ponte (Les noces de Figaro, Don Giovanni et Cosi van Tutte), nous les sortons de leur contexte pour raconter l'existence incroyable de da Ponte.»

Peut-être candidement... mais sûrement, Nicolas Ellis et l'OSA cherchent à diversifier leur proposition.

«Je souhaite étoffer les saisons de l'OSA, les musiciens pourront jouer plus souvent ensemble, créer un son commun, atteindre une plus grande cohésion, élargir le répertoire. Bien sûr, ce serait différent si on jouait chaque semaine plutôt que trois fois par an. Cela dit, les musiciens ont toujours très envie de jouer. À chaque répétition, ils se présentent motivés et préparés.»

Carrés rouges un jour...

Il dirige l'Orchestre symphonique de l'Agora dans le concert Da Ponte bien culotté, au Théâtre Corona le 3 février, 19 h 30.

On le verra aussi diriger l'Orchestre Métropolitain dans le programme Les planètes: génial! à la Maison symphonique le 29 avril et au Théâtre Outremont le 1er mai.

Photo fournie par l’Orchestre symphonique de l’Agora

Nicolas Ellis en train de diriger l'Orchestre symphonique de l'Agora en 2012