Décidément, Kent Nagano aime le neuf. Six ans après avoir inauguré la Maison symphonique de Montréal, le maestro américain a pendu la crémaillère l'hiver dernier dans sa deuxième résidence, la spectaculaire Elbphilharmonie de Hambourg, dans le nord de l'Allemagne.

«L'architecture est spectaculaire, elle envoie un tel message», s'enthousiasme celui qui mène aussi l'Orchestre d'État de Hambourg, en entrevue avec La Presse. «C'était très émouvant de finalement entrer dans la salle de concert, de prendre part au concert d'ouverture.»

«Finalement» parce que la construction de l'immense édifice - le plus haut de la ville - s'est transformée en véritable chemin de croix long d'une décennie, avec de multiples retards. Et une facture totale multipliée par 10 pour dépasser la barre du milliard de dollars canadiens.

«Je suis arrivé à un moment où il y avait une suspension des travaux. Il y avait plusieurs problèmes. Heureusement, nous avons trouvé des solutions.»

Le cauchemar s'est terminé avec son inauguration par la chancelière Angela Merkel, en janvier dernier. Les Hambourgeois s'y relaient maintenant et semblent avoir pardonné à l'Elbphilharmonie les années de colère qu'il leur a fait vivre.

S'ils réussissent à détacher le regard du profil du bâtiment, locaux et touristes y pénètrent par un immense escalier roulant en arc. Quelque 3,4 millions de personnes ont fait le parcours depuis l'hiver dernier pour atteindre la plaza, une immense terrasse d'où l'on peut observer le grouillant port d'Hambourg, qui a fait de la ville l'une des plus riches d'Europe.

La «peau blanche»

Mais le saint des saints, c'est la Grosser Saal, la «grande salle». On y entre comme dans une immense grotte creusée à la truelle dans la pierre pâle... à 50 m au-dessus de l'Elbe. Les murs sont recouverts de 10 000 plaques de gypse, toutes différentes et profondément texturées.

L'objectif: disséminer le son adéquatement dans toute la salle. De notre siège, on a presque l'impression que les instrumentistes sont dispersés dans le public et enveloppent la salle de leurs notes.

«On l'appelle la weisse haut, la peau blanche», explique Tom R. Schulz, porte-parole de l'Elbphilharmonie. Il continue en précisant que pour certains concerts qui sont amplifiés artificiellement, des panneaux doivent être installés devant cette surface sophistiquée pour en atténuer l'effet.

Kent Nagano et son orchestre y ont donné leur premier concert à la mi-janvier: un oratorio composé spécialement pour l'occasion. Cet automne, leur première représentation à l'Elbphilharmonie est prévue pour octobre, mais un autre orchestre symphonique (Hambourg en a trois!) y joue depuis le début du mois de septembre.

«Phase critique d'ajustement»

Diplomate, le chef d'orchestre refuse de comparer l'acoustique de ses deux résidences professionnelles.

«Nous sommes à des étapes différentes en ce moment. À Montréal, nous avons eu besoin de quelques années pour ajuster l'acoustique et l'orchestre a eu la chance de s'habituer à la salle. À Hambourg, on commence à peine le processus, explique-t-il au bout du fil. C'était une inauguration très positive. Tout le monde a le sentiment que c'est une excellente salle de concert, mais tout le monde réalise qu'à présent commence une phase critique d'ajustement. [...] Ce sera intéressant de les comparer dans trois ans.»

Surtout, le chef d'orchestre se réjouit de voir la musique classique continuer de susciter les projets de construction. «Ce qui s'est passé à Hambourg est comparable à ce qui s'est passé à Montréal, dit-il. La ville de Hambourg a envoyé un message clair: les arts et le XXIe siècle vont de pair. Ils ont envoyé ce message en investissant pour les prochaines générations.»

Photo Christian Charisius, Archives Associated Press

La construction de l'Elbphilharmonie de Hambourg a duré 10 ans et coûté plus de 1 milliard de dollars.