Âgé d'à peine 14 ans, le pianiste et compositeur postromantique André Mathieu (1929-1968) imaginait en 1943 ce que ses ardents défenseurs considèrent comme son oeuvre maîtresse: le Concerto n3 en do mineur op. 25 pour piano et orchestre, mieux connu sous l'appellation Concerto de Québec.

Relancée dans les années 70, puis en 2003 lorsque pianiste Alain Lefèvre l'enregistra avec l'Orchestre symphonique de Québec, l'oeuvre fait aujourd'hui l'objet d'une importante restauration et d'une relecture en studio par soliste et le Buffalo Philharmonic Orchestra sous la direction de JoAnn Falletta.

Rappelons que ce concerto du fameux musicien québécois fut intimement lié au film La Forteresse, tourné à Québec et dont la bande sonore comportait le thème principal du deuxième mouvement. Pour les besoins du film sorti en 1947, on avait commandé une version de l'oeuvre, abrégée et orchestrée par Giuseppe Agostini... mais on n'en retint qu'un extrait.

Trois décennies plus tard, Marc Bélanger procéda à la révision et l'arrangement de cette partition qu'utilisa ensuite le pianiste Philippe Entremont avec l'Orchestre du Capitole de Toulouse en 1977, nous rappelle le collègue Georges Nicholson dans les notes de pochette d'un nouvel enregistrement du Concerto n3, qui vient de paraître chez Analekta.

«En 2003, ce sera toujours ce même arrangement déposé au Centre de musique canadienne, mais révisé par Alain Lefèvre lui-même qui sera utilisé pour son enregistrement avec l'Orchestre symphonique de Québec», écrit Georges Nicholson, le biographe d'André Mathieu et d'Alain Lefèvre, avant de rappeler qu'il débusqua lui-même dans le Fonds Mathieu (à Ottawa) la partition originale pour deux pianos, écrite de la main du compositeur adolescent.

Révélations

Cette trouvaille incita Alain Lefèvre à la confier au compositeur et chef d'orchestre Jacques Marchand, afin de la restaurer en profondeur. Le pianiste en a assimilé la nouvelle version pour ensuite l'enregistrer chez Analekta, soit 14 ans après l'avoir fait une première fois avec la partition déficiente, de concert avec l'OSQ sous la direction de Yoav Talmi.

«Lorsque j'ai vu cette partition découverte par Georges, j'ai réalisé que celle à laquelle on avait accès jusqu'alors avait été altérée de manière dramatique. C'est pourquoi j'ai mandaté Jacques Marchand. Au départ, nous n'avions pas d'argent pour réaliser ce travail, mais j'ai finalement obtenu le soutien financier d'un mécène afin que Jacques soit rémunéré», raconte Alain Lefèvre, venu à Montréal pour faire la promotion de cette nouvelle version du Concerto n3.

Assis à ses côtés, Jacques Marchand défend également la démarche, il va sans dire. Il indique d'abord que la partition était mal écrite, difficile à ajuster, car André Mathieu avait écrit le premier piano en premier lieu, ensuite le second - qui sert à l'orchestration et l'arrangement - et qui, au bout du compte, a son lot de révélations.

«Quand Alain m'a demandé de retravailler, raconte-t-il, il croyait que des transitions devaient être écrites, ces connexions devaient être imaginées. Bien au contraire, tout était là dans cette partition et plus encore. J'ai trouvé des choses magnifiques, notamment un thème qui n'avait jamais été joué, hachuré pour la musique du film. J'en ai pleuré tellement c'était beau! On avait donc coupé l'oeuvre considérablement.

«Après sa restauration, renchérit Jacques Marchand, ça devient selon moi un nouveau concerto. Je pense d'ailleurs qu'il s'agit là de son oeuvre majeure.»

«Ses compositions subséquentes y font référence, les thèmes en sont souvent proches, on sent la même inspiration. Si jeune, André Mathieu était à son apogée en tant que créateur.»

Une pratique courante

Alain Lefèvre voit dans ce travail de restauration une pratique courante dans la musique classique: «Je suis pianiste et je sais qu'on a révisé les partitions de Chopin. Pour trois notes, cinq bémols ou deux mesures, on s'est donné la peine de faire le travail, c'était quelque chose d'important. La Symphonie n5 de Bruckner a été aussi restaurée, on peut citer plein d'autres exemples. Dans le cas du Concerto n3 d'André Mathieu, il y a finalement 10 minutes supplémentaires et plus de 15 000 différences dans la notation!»

Selon le pianiste de concert, pour qui le legs d'André Mathieu a été un cheval de bataille pendant tant d'années, ce travail est aussi un devoir de mémoire: «Pourquoi le ferait-on pour d'autres compositeurs importants et dont certaines oeuvres sont carrément inintéressantes, je pense à Liszt ou Saint-Saëns, et pas pour cette oeuvre centrale d'André Mathieu, compositeur d'ici? Conclure à l'inutilité d'un tel travail représente selon moi une forme de mépris pour notre créativité.»

Et pourquoi avoir choisi l'Orchestre philharmonique de Buffalo pour l'exécution de cette partition restaurée?

«Parce que JoAnn Falletta est une amie qui a mis de l'avant Mathieu depuis près de 10 ans, l'imposant entre autres au Carnegie Hall. Elle était donc aguerrie en la matière. Quant à l'orchestre de Buffalo, il est certainement parmi les meilleurs en Amérique du Nord.»

Ainsi, la chef d'orchestre a travaillé de près avec Jacques Marchand et Alain Lefèvre pour la préparation de cette exécution. Le défi pianistique était majeur, conclut le pianiste: «J'avais intégré l'ancienne partition que j'avais tant travaillée, j'ai dû m'en déprogrammer pour maîtriser la nouvelle. J'ai vécu des moments cauchemardesques, ça m'a pris plusieurs mois pour y parvenir. J'en suis heureux, car c'est son plus beau concerto, le sommet de son inspiration.»