Le pantin Pinocchio a réussi sa mue en opéra lundi soir au Festival d'Aix-en-Provence, sous la baguette magique du compositeur belge Philippe Boesmans et sur le livret du Français Joël Pommerat inspiré du célèbre conte de Collodi.

Le septième opéra de Philippe Boesmans a soulevé l'enthousiasme des petits comme des grands, plus nombreux il est vrai dans la salle du Grand Théâtre de Provence du festival lyrique (3 au 22 juillet).

Oubliez Walt Disney: rien de mièvre dans cette version âpre du conte de l'Italien Carlo Collodi (1826-1890), publié en feuilleton en 1881.

C'est d'ailleurs plutôt le film de Comencini de 1975 qui a inspiré Joël Pommerat lorsqu'il a créé sa pièce Pinocchio en 2008, quatre ans après un premier conte, Le petit chaperon rouge.

Son Pinocchio est «un sale gosse, un garçon égocentrique qui va passer par des épreuves pour entrer dans la vraie vie, où on ne triche plus avec la vérité», raconte Philippe Boesmans.

«T'es vieux! T'es pauvre! C'est la meilleure de la journée ça!» lance-t-il dépité au malheureux Gepetto.

Au début de l'opéra sont assis en rang d'étranges personnages à tête d'animaux, qui figurent les mauvaises rencontres du pantin dans le conte, comme le chat ou le renard.

Tout cela est plutôt inquiétant, et ce n'est pas l'image de Gepetto, une scie électrique en main, qui va rassurer le public. Alors qu'il façonne son pantin dans un tronc, un visage à la bouche immense hurle en fond d'écran.

La musique de Philippe Boesmans, très colorée et extrêmement variée colle étroitement à l'action. Elle se fait sirène lorsque le nez de Pinocchio s'allonge à chaque mensonge, et sonnerie d'école lorsqu'il s'assied en classe.

Elle sait aussi se muer en ritournelle populaire aux moments émouvants, ou prendre de grands airs classiques lorsqu'un juge impitoyable envoie le pantin en prison.

Du rap ou du baroque

«Je suis sorti de la musique très difficile des années 60, post-sérielle, où on tournait en rond», rappelle le compositeur de 81 ans. «J'ai ouvert grand les fenêtres à toutes les formes de musique. Il pourrait y avoir du rap ou du baroque, ça m'irait très bien!»

Il n'y a pas de rap, mais du violon tzigane, de l'accordéon et du saxophone sur scène, en plus de l'orchestre de 19 musiciens dans la fosse dirigé par Emilio Pomarico.

Le trio sur scène improvise à des moments clés, notamment dans une scène cocasse d'école en folie, où les élèves se lancent dans des numéros de danse hip hop sur la musique.

On passe facilement du rire aux larmes dans ce Pinocchio à la veine fantastique, porté par les éclairages magiques d'Éric Soyer.

Joël Pommerat, qui en est à sa deuxième collaboration avec Philippe Boesmans après Au monde en 2014 aime les plateaux presque nus, et les fondus au noir. Chacune des 23 courtes scènes s'ouvre ou se ferme sur un noir, «comme une paupière qui s'ouvre et se ferme», explique Éric Soyer.

Les personnages se détachent sur la pénombre, comme la fée géante qui surplombe Pinocchio d'au moins deux mètres dans sa robe blanche, ou les trois meurtriers en habits du Ku Klux Klan.

La vidéo, utilisée avec parcimonie, contribue à la magie visuelle, lorsque Pinocchio vogue sur une mer irisée dont les vagues balayent le plateau.

Attentif aux chanteurs, Philippe Boesmans ne leur propose pas de partition impossible, mais campe des personnages bien distincts vocalement: les aigus de la fée (la Québécoise Marie-Eve Munger), le baryton du formidable Stéphane Degout, qui chante à la fois le narrateur, génial «Monsieur Loyal» aux gants blancs, et trois autres rôles.

Le pantin est incarné par la jeune Chloé Briot, dont le mètre cinquante se glisse parfaitement dans la peau du jeune garçon.

Tous les chanteurs, sauf le pantin, se démultiplient en plusieurs personnages (Yann Beuron, Vincent Le Texier, Julie Boulianne).

Pinocchio sera donné au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en septembre, à Dijon en octobre et à Bordeaux en mai 2018.