La place qu'occupent les orchestres dans le coeur des villes a changé au cours des 50 dernières années. Face à la mondialisation qui multiplie l'offre en culture, les organisations d'envergure telle que l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) doivent user de stratégie afin d'attirer de nouveaux publics. Entrevue avec Simon Leclerc, chef associé de la série OSM Pop, et Adam Johnson, chef assistant de l'OSM.

Pourquoi les orchestres font-ils des concerts populaires depuis quelques années comme ce que vous avez fait ce mois-ci avec Brel symphonique, où la musique du légendaire Jacques Brel était mise en valeur?

Simon Leclerc: Avec la mondialisation et l'internet, les gens ont accès à une impressionnante offre en divertissement. C'est énorme! Si on veut se démarquer au travers de tout ça, il faut arriver avec des propositions qui sont différentes. Les concerts pop de l'OSM, c'est un peu ça. On ne renie absolument pas notre côté classique, c'est la vocation de l'orchestre, mais on ouvre une fenêtre pour montrer [que] l'OSM est vraiment faite pour tout le monde.

Mais les gens qui viennent voir ce genre de concert sont-ils davantage happés par la force d'un ensemble symphonique, ou l'émerveillement qu'ils peuvent ressentir vient-il plutôt des chanteurs interprètes populaires qui sont sur scène?

Simon Leclerc: Les gens sont toujours extrêmement impressionnés, parce que le public qui vient voir les concerts que je dirige n'est pas le public qui vient normalement à la Maison symphonique. Ces personnes-là ne sont pas des habitués, ils sont donc impressionnés par la salle, mais aussi simplement par le fait d'entendre un orchestre. Ensuite, est-ce que [ces concerts] ont une incidence [sur la fréquentation d']un autre concert [classique] qu'Adam Johnson pourrait diriger ensuite? Je ne pense pas. Mais de toute façon, ce n'est pas le but. Quand je fais Brel symphonique, on ne vise pas qu'il y ait plus de gens la semaine suivante pour aller voir un concert avec la musique de Bruckner.

Et quand vous donnez des concerts extérieurs devant un public qui écoute parfois davantage les chanteurs populaires et qui tout d'un coup a des frissons sur du Brahms, ça vous fait quoi, en tant que maestro?

Adam Johnson: J'adore ça! On ne sait jamais qui est dans notre public, si c'est sa première fois qu'il vient ou qui sait, sa dernière. Une fois, un monsieur est venu me voir après un concert en pleurant. Il m'a dit: «J'ai perdu tellement de temps à ne pas venir.» C'est pour ça qu'il faut toujours se donner pleinement. Je me rappelle moi aussi la première fois où un orchestre est venu donner un concert au cinéma dans ma petite ville de Hinton, en Alberta. Je ne savais même pas, à 16 ans, qu'un adulte pouvait faire carrière en jouant d'un instrument à cordes. Ça a changé ma vie.

Quel impact un chef d'orchestre a-t-il sur ses musiciens et sur l'interprétation des oeuvres qu'ils jouent? Si les musiciens sont si polyvalents, pourraient-ils même se passer d'un chef pour jouer une pièce?

Simon Leclerc: La réponse est oui! Avec le niveau de musiciens que l'on a, si tu leur mets la partition et qu'ils la jouent sans direction, ça ne sera pas laid. Ils vont la jouer. Sauf que si tu incorpores un chef dans l'équation, celui-ci arrivera avec une vision. Avec sa perception de l'oeuvre. Avec une symphonie de Beethoven, il va proposer de jouer plus vite tel mouvement, que les cuivres sortent un peu plus à tel moment. C'est comme un metteur en scène au théâtre qui donnera des indications à ses acteurs.

La société change, les musiciens aussi. Comment cela a-t-il évolué au cours des dernières années?

Simon Leclerc: La moyenne d'âge des musiciens de l'OSM a beaucoup baissé. Tu as aussi maintenant des musiciens qui écoutent autre chose que de la musique classique, ce qui n'était peut-être pas le cas il y a 50 ans. Avant, les musiciens d'orchestre écoutaient de la musique du répertoire, alors qu'aujourd'hui je peux parler de Björk ou de Shania Twain avec eux.

Adam Johnson: Les musiciens aujourd'hui sont capables de jouer plusieurs styles musicaux à un très haut niveau. À l'époque, un orchestre était connu pour jouer seulement un type de répertoire, comme le répertoire germanique ou français, par exemple. Aujourd'hui, on peut visiter plusieurs styles très variés.

On remarque ces dernières années à quel point l'individualisme occupe une place importante dans nos sociétés. Est-ce que cela a un impact sur votre capacité à diriger un ensemble, alors qu'on est de plus en plus habitué à travailler en fonction de nos propres intérêts, plutôt qu'en fonction d'un groupe?

Simon Leclerc: Je ne pense pas. Le travail du chef a aussi beaucoup changé depuis 50 ans. Le chef dictateur, ça ne peut plus exister de nos jours. Les communications ont changé, les rapports humains aussi. Un chef qui agirait comme un Arturo Toscanini aujourd'hui, ça ne passerait pas. Ça serait impossible! Mais la hiérarchie est quand même encore là.

Adam Johnson: Je suis entièrement d'accord. Le rôle du chef d'orchestre a aussi changé dans le sens où le niveau était peut-être moins élevé autrefois. Le chef était là pour hausser le niveau. Aujourd'hui, chaque musicien est un virtuose capable de tout faire. Il faut donc plutôt travailler à réunir tout le monde en une seule vision, une seule interprétation.

Simon Leclerc: C'est merveilleux comme ça. À l'époque dictatoriale, ça a peut-être fait des chefs-d'oeuvre, mais ça a brisé beaucoup de gens aussi...