Après l'auteur Bryan Perro et le conteur Fred Pellerin, c'est au tour de Boucar Diouf d'être le «raconteur» invité par l'Orchestre symphonique de Montréal pour son spectacle de Noël. Dans Noël métissé serré, le plus gaspésien des Sénégalais a l'intention de «dilater la rate et toucher le coeur» en parlant de Noël, de tradition et d'ouverture.

Musique classique

«C'est l'OSM qui m'a approché, et c'est ma blonde qui m'a convaincu», dit Boucar Diouf. Il rigole en disant que non seulement ce sera le premier spectacle de musique classique auquel il assistera, mais qu'il sera sur scène! «Je viens d'un monde trop loin de ça, c'est comme si je m'étais toujours dit que je n'étais pas intellectuellement outillé», dit Boucar Diouf, qui avoue aimer la musique classique, mais ne pas en connaître les codes. «Ma blonde m'a dit: si l'OSM pense que ça doit être toi, c'est toi. La musique, c'est pas ta job, c'est eux.» Il a alors soumis un texte, dont se sont inspirés le chef Jean-François Rivest et son équipe pour choisir les différentes musiques. «J'ai aimé ça, j'ai trouvé que ça fonctionnait avec l'énergie poétique que je voulais donner.»

Raconter

Boucar Diouf aime raconter des histoires, et ce n'est pas surprenant que l'OSM ait pensé à lui pour ce spectacle. «J'ai été conteur bien avant de faire de l'humour», rappelle-t-il. Raconter est sa manière de communiquer, que ce soit en livre (Rendez à ces arbres ce qui appartient à ces arbres, aux Éditions La Presse), à la radio (La nature selon Boucar, à ICI Radio-Canada Première), dans la série télé scientifique Les Boucardises, qui sera présentée à compter du 23 décembre à Explora, ou en spectacle. «Je fais toujours la même chose : de l'enseignement populaire. J'ai quitté l'enseignement il y a longtemps, mais il a fini par me rattraper. Mes spectacles, ce sont des cours. Les gens rient, mais le rire est un tremplin pour les emmener dans ce que je veux dire.»

Noël

«Le spectacle est fait de plein de petites histoires qui touchent à Noël et qui parlent de nourriture, d'arbres de Noël, de neige, de grands-parents, de nostalgie, de famille. Tout ça.» Boucar Diouf a découvert Noël en arrivant au Québec en 1991, mais c'est plus tard, dans la famille de sa «blonde», qu'il a appris à l'aimer. «Noël est un moment de solitude pour beaucoup de gens, et c'est ce que j'ai vécu lors de mes premiers Noëls ici. C'est très dur.» Le spectacle a pour but de «titiller la nostalgie des gens», dit-il, car Noël est souvent le moment où on se souvient des disparus. «J'adore Noël et ses rituels, j'aime les célébrations où les gens sont ensemble.»

Métissage

L'objectif de Noël métissé serré, dit Boucar Diouf, est de «raccommoder» les gens. «C'est un spectacle de raccommodement. Je dis tout le temps: le Québec est de plus en plus une courtepointe culturelle, et une courtepointe, ça tient au chaud si les liens sont bien tissés. Sinon, il y a des carrés qui se défont.» Dans cette idée de métissage, ce grand amateur de musique traditionnelle - «J'écoute et je collectionne tout ce qui se fait» - a ainsi invité à participer à son spectacle le groupe trad Le vent du Nord, le chanteur gaspésien Patrice Michaud et le percussionniste et chanteur d'origine sénégalaise Élage Diouf. «Il y aura deux Diouf, nous allons commencer la colonisation du Québec! lance-t-il, en précisant qu'ils ne sont pas parents. « Les Diouf, c'est comme les Tremblay du Sénégal.»

Gaspésie

Boucar Diouf est un amoureux de la Gaspésie. «J'ai passé 18 ans entre Rimouski et Gaspé, dit celui qui a fait son doctorat en océanographie à l'Université du Québec à Rimouski. J'y retourne toujours pendant les Fêtes. C'est mon territoire. Le fleuve me fait du bien, l'air du Saint-Laurent m'apaise. Ça répare quelque chose dans mes chakras.» Le fleuve sera d'ailleurs le sujet de son prochain spectacle, Le chemin qui marche, qui est actuellement en rodage et qui devrait être présenté en 2018. «Je retourne à ce qui m'a emmené au Québec. Je suis un petit poisson du Saint-Laurent.»

Une tradition québécoise à exporter

«J'adore la tradition de la chaise laissée libre à table le soir de Noël. C'est une façon de dire: l'étranger qui arrive, il va pouvoir s'asseoir. Ça témoigne de toute l'ouverture et du sens de l'accueil des Québécois. On revient au fameux ‟Ma maison, c'est votre maison" de Gilles Vigneault. J'aime aussi le banc du quêteux, tellement que je m'en suis fait faire un. Quelqu'un arrive, il tend la main pour vaincre la solitude, et tu lui dis: rentre dans la maison et assieds-toi dans l'entrée. C'est déjà quelque chose de formidable.»

Une tradition sénégalaise à importer

«Pendant les Fêtes, on a coutume d'aller s'excuser au voisin. Tu lui demandes de te pardonner pour tout ce que tu as pu lui faire, mais de manière inconsciente. Et lui, il fait la même chose. Puis vous vous serrez la main et vous dites : que Dieu nous pardonne. Même si je ne suis pas pratiquant, je trouve ça hautement symbolique. Après, on va chez l'autre voisin et on recommence.»

Harmonie

Pendant que les civils d'Alep meurent et que le populisme triomphe aux États-Unis, Boucar Diouf rappelle une autre tradition bien sénégalaise, pays à 90 % musulman. «Pendant les fêtes, les musulmans gardent toujours la part du chrétien. Et les chrétiens font la même chose. Ça manque drôlement en ce moment, l'interconfessionnel, cette capacité à dire que même si on n'a pas le même chemin vers Dieu, on peut se serrer la main.» L'élection de Trump aux États-Unis signifie exactement le contraire, croit-il. «C'est poche, parce que ce n'est pas une manière de construire une société métissée serré.»

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À la Maison symphonique, du 21 au 23 décembre. Diffusé en direct le 22 décembre, à 20 h, à ICI Musique, puis en rediffusion le 24 décembre, à 21 h, à ICI Première, le 25 décembre, à 12 h, à ICI Musique, le 30 décembre, à 19 h 30, à ICI Télé et le 7 janvier, à 21h, à ICI ARTV.