Tant au pays qu'à l'étranger, Luc Beauséjour est considéré comme un claveciniste hors pair, un organiste de talent et aussi un clavicordiste chevronné. Paru chez Analekta, l'album Moments baroques au piano fera-t-il aussi mousser sa réputation de... pianiste?

«Un jour, on parlait de tout et de rien et j'ai dit à Luc: "Pourquoi ne sortirais-tu pas de ta zone de confort?"», raconte Mario Labbé, propriétaire du label Analekta, qui vient de lancer cet album de piano baroque interprété par Luc Beauséjour, brillant interprète dont il a produit maints albums de clavecin.

Attablé avec Mario Labbé et quelques représentants des médias, le principal intéressé fait état de sa première réaction: 

«Lorsque Mario m'a demandé: "Pourquoi pas le piano?", j'ai été un peu étonné. Il me fallait retourner chez moi, me demander si ça avait du sens et... ça m'a tenté de me lancer dans cette aventure, avec peut-être une certaine insouciance! Je me suis dit alors que je jouerais des pièces qui pourraient rejoindre les gens. Ces pièces ne seraient pas nécessairement enregistrées par les pianistes - par exemple, les Correnti de Frescobaldi.»

Le programme de cet enregistrement se veut un buffet baroque: y figurent des oeuvres des compositeurs Domenico Scarlatti, Jean-Sébastien Bach, Henry Purcell, Jean-Philippe Rameau, Georg Böhm, Girolamo Frescobaldi, Louis Couperin et Georg Friedrich Haendel.

«J'ai lu beaucoup de musique, j'en ai fait entendre à des amis, puis j'ai tenté d'équilibrer: c'est un panorama de musique française, anglaise, italienne et allemande de différentes périodes.»

Luc Beauséjour assure ne pas s'être senti dépaysé par l'expérience pianistique et même avoir beaucoup aimé l'expérience.

«J'avais perdu l'habitude d'un si large clavier, mais une fois revenu au piano, c'est un peu comme la bicyclette... on retrouve la forme.»

Il faut dire que lorsqu'il donne des cours de littérature musicale au cégep, le musicien est toujours au piano pour en illustrer les exemples. « En studio, j'avais un peu l'impression de me retrouver dans un cours de littérature musicale où je joue du piano afin de faire découvrir. C'est un peu l'esprit de cet album, d'ailleurs : faire découvrir le répertoire que j'aime, un répertoire que je joue régulièrement au clavecin... cette fois au piano. »

L'interprète évoque aussi la nécessité de la polyvalence pour un claviériste de métier. «Je suis toujours en forme au piano parce que j'en joue chaque semaine. S'adapter rapidement fait aussi partie du métier.»

D'un clavier à l'autre

Cela dit, les nuances et l'ornementation sont différentes d'un clavier à l'autre. Comment alors envisager le jeu?

«Pour certaines pièces, le lien avec le clavecin se faisait plus facilement. Avec les sonates de Scarlatti, par exemple, j'essaie de retrouver un peu la sonorité du clavecin. Je suis habitué à beaucoup de clarté lorsque je joue ces sonates; j'aime que ce soit pétillant, que les ornements soient clairs. Je vais instinctivement rechercher ça au piano.»

«Mais pour d'autres pièces comme la Pavane en fa dièse mineur de Louis Couperin, il faut penser piano: traiter cette pièce comme une pièce de clavecin, ça ne marche pas, car les nuances débordent le cadre que permet le clavecin. Ground en do mineur de Henry Purcell, ça se prête à un traitement pianistique et ça fonctionne bien au clavecin.»

Cela dit, Luc Beauséjour ne pense pas «jouer du clavecin au piano».

«Je veux plutôt jouer du piano avec une pensée, un background de claveciniste. Je ne crois pas avoir sacrifié des ornements propres au clavecin; j'ai plutôt cherché à valoriser la sonorité du piano.»

Au fait, qu'est-ce qui ne fonctionne pas au piano lorsqu'on puise dans un répertoire conçu à l'origine pour le clavecin?

«De façon générale, indique notre interviewé, la musique de François Couperin ne marche pas au piano: c'est plein d'ornements, ça appelle une corde pincée, je trouve. Alors que la musique de Rameau, c'est possible: ces transcriptions orchestrales fonctionnent bien tant au clavecin qu'au piano. J'ai aussi écarté tout ce qui est toccate de Frescobaldi... pour ses Correnti, cependant, j'ai trouvé que ça marchait.»

Certaines pièces choisies par Luc Beauséjour sont-elles supérieures dans leur exécution pianistique?

«Les oeuvres de Louis Couperin et de Böhm, on ne pourrait pas les jouer à ce tempo lent au clavecin; la sonorité pourrait s'éteindre, alors que la sonorité du piano est plus large et permet cette lenteur. De Jean-Sébastien Bach, la Toccata en mi mineur et le Concerto en ré mineur se prêtent aussi bien au piano. Dans le cas du Purcell et du deuxième mouvement du concerto de Bach, j'avoue que j'étais plus satisfait de l'exécution au piano: enfin, je pouvais faire chanter la mélodie à mon goût! Alors qu'au clavecin, si l'aigu de l'instrument est moche, ça rétrécit le résultat. Au piano, la diva entre en scène!»

La matière de ces Moments baroques au piano sera reprise l'an prochain à la salle Bourgie par Luc Beauséjour, qui s'y produira avec une variété de claviers: clavecin, clavicorde, piano Érard et piano moderne.

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CLASSIQUE. Moments baroques au piano. Luc Beauséjour. Analekta.

Photo fournie par Analekta

Moments baroques au piano, de Luc Beauséjour