Le 14 septembre 1967, sur cette même scène de la salle Wilfrid-Pelletier où les gens de l'Opéra de Montréal se lançaient hier soir à l'assaut de l'himalayenne Elektra de Richard Strauss, sur cette scène, dis-je, l'Opéra de Vienne donnait, il y aura bientôt 50 ans, dans le cadre d'Expo 67, la première de deux représentations de l'oeuvre avec trois des plus célèbres interprètes mondiales des trois rôles féminins centraux, soit Birgit Nilsson en Électre, Leonie Rysanek en Chrysothémis et Regina Resnik en Clytemnestre, dans une mise en scène de Wieland Wagner et sous la direction de Karl Böhm au pupitre de l'Orchestre Philharmonique de Vienne.

Celui qui vous parle y était et n'a rien oublié de l'impression de totale épouvante provoquée dans toute la salle par cette géniale réalisation qui, il est vrai, nous arrivait bien rodée en Europe. Au sortir du présent spectacle, qui dure très exactement une heure et 44 minutes, sans entracte, on se dit: « Pourquoi s'attaquer à pareille machine quand on n'en a pas les moyens? » Je parle, non pas des moyens financiers (domaine où on peut toujours trouver une solution), mais, chose autrement plus importante, des moyens vocaux démesurés que Strauss réclame ici. En même temps que les voix ne répondant pas à l'appel, mentionnons donc aussi, tout de suite, l'indigence de cette production sur le plan visuel.

Un mot sur le scénario. Nous sommes en pleine mythologie grecque. Électre veut venger son père, le roi Agamemnon, assassiné à coup de hache par sa mère Clytemnestre et l'amant de celle-ci, Égisthe. Revenu de l'étranger, Oreste, le frère d'Électre, tuera sa méchante mère et Électre récupérera la hache et se chargera de l'amant.

Mythologie, avons-nous dit. On dirait plutôt quelque série cheap de la télévision. Notre mignonne Électre 2015 a l'air d'un professeur d'équitation et les cinq servantes du palais évoluent en petites robes de secrétaires de bureau. Cela s'appelle « relecture ». Encore faudrait-il savoir lire. Et puisqu'on en est aux tenues vestimentaires, on pourrait aussi mentionner celle de Yannick Nézet-Séguin, qui dirige en T-shirt noir, bras nus, ce qu'on remarque d'autant plus qu'il est très éclairé pendant tout le spectacle.

Il ne faut pas oublier non plus le « monument » d'Agamemnon, cette chose énorme dont on a tant parlé, qui occupe presque toute la hauteur de scène, qu'on éclaire de diverses façons et qu'on fait pivoter. Selon l'angle qu'on lui fait prendre, la chose suggère un écureuil géant, un très gros ours, le « Penseur » de Rodin et même King Kong. Le choix est vaste. Le palais lui-même se ramène à quelques passerelles stylisées. On y voit aussi un escabeau sur roulettes, où grimpe Électre, et, tout à droite, un objet non identifié où un spectateur a cru reconnaître une bonbonne d'oxygène.

Les voix maintenant, pour le peu qu'il y a à en dire. Ce que l'OdM offre là confirme une fois de plus la dramatique situation de l'art vocal dans le monde actuellement. L'interminable bavardage des servantes, au tout début, reste ce qu'il est: on n'y peut rien. Non plus qu'au défilé des retardataires, en contrepoint. Hélas! ce qui suit se ramène le plus souvent aux cris répétés et assourdissants produits par des voix de sopranos qui, ne possédant pas la solidité requise, forcent, se détimbrent et détonnent. C'est le cas principalement de l'Américaine Lise Lindstrom, l'Électre, qui chante presque continuellement. Moins sollicitée, la Chrysothémis de l'Allemande Nicola Beller Carbone est forcément plus écoutable. Mais, tranchant nettement sur ces deux stridents instruments, voici le mezzo large et sombre de la Polonaise Agnes Zwierko, en Clytemnestre. Et plus tard, brièvement, l'Oreste expérimenté de l'Américain Alan Held, qui reprend son rôle de la version concert de Dutoit en 2001, et l'Égisthe du Canadien John Mac Master.

Sur le plan vocal, donc, un assemblage qui se ramène à peu de chose. Encore si l'interprétation était colossale, on accepterait les limites de ces voix. Mais ce n'est pas le cas. La mise en scène est correcte, dans l'ensemble, mais la direction d'acteurs est inexistante. Ces femmes qu'on dit tourmentées, démentes, dangereuses, manquent de force, de caractère, de vérité, de tout, en fait. On n'y croit tout simplement pas. Même la Polonaise, pourtant bien nantie vocalement.

Dans la fosse, l'Orchestre Métropolitain augmenté à 88 musiciens traverse une prometteuse répétition générale de la lourde partition de Strauss. Il reste trois représentations.

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ELEKTRA, opéra en un acte, livret de Hugo von Hofmannsthal d'après la tragédie de Sophocle, musique de Richard Strauss, op. 58 (1909).

Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts. Première hier soir. Autres représentations: 24, 26 et 28 novembre, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.

Distribution (rôles principaux):

Électre : Lise Lindstrom, soprano

Chrysothémis : Nicola Beller Carbone, soprano

Clytemnestre : Agnes Zwierko, mezzo-soprano

Oreste : Alan Held, baryton

Egisthe: John Mac Master, ténor

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Mise en scène: Alain Gauthier

Décors: Victor Ochoa

Costumes: Opéra de Montréal

Éclairages: Étienne Boucher

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain Direction musicale: Yannick Nézet-Séguin