Tous les matins dans son bureau au Centre des sciences de Montréal, Julie Payette prend son café. Elle le prend toujours dans la même tasse qu'elle a ramenée de Houston, au Texas. La tasse est blanche, mais l'important, c'est l'inscription sur sa porcelaine: Failure is Not an Option. L'échec n'est pas une option.

Sans exagérer, on peut dire que cette maxime a guidé une bonne partie de la vie de Julie Payette, ou du moins les 20 années où elle s'est expatriée (le mot est d'elle) à Houston et jointe au corps d'astronautes de la NASA.

Nous nous étions déjà rencontrées au moment où elle se préparait à réaliser son rêve de petite fille. C'était en 1999 et le 27 mai de cette année-là, Julie Payette a pris part à une première mission à bord de la navette Discovery, mission qui avait pour but d'amarrer la navette à un semblant de station spatiale qui avait la taille de deux salles de bains.

Puis, Julie est repartie dans l'espace en 2009, à bord de la navette Endeavour, au moment où la construction de la station était terminée.

Nous nous retrouvons donc 16 ans plus tard, mais dans un tout autre contexte. Julie a quitté l'Agence spatiale canadienne en 2013, pas exactement dans la sérénité et pour des raisons dont elle ne veut pas parler. Depuis deux ans, elle est directrice générale du Centre des sciences de Montréal, ainsi que vice-présidente de la Société immobilière du Canada. C'est dire qu'elle est revenue vivre dans la ville qui l'a vue naître avec son mari Billy Flynn et Laurier, leur fils de 14 ans.

Toujours aussi menue, sa légendaire cascade de boucles châtain retenue par un simple élastique, ne portant pas la moindre trace de maquillage et aujourd'hui âgée de 52 ans, Julie Payette m'a précédée dans un cube vitré de la taille de la première station spatiale. La pièce, qui était adjacente à son bureau, ressemblait dans les faits à une salle d'interrogatoire et ne portait pas nécessairement à la confidence.

Ce jour-là, par un étrange hasard, la Station spatiale internationale célébrait 15 ans de présence humaine dans l'espace. Et Julie Payette se retrouvait entre les quatre murs blancs d'un cube du Vieux-Port de Montréal plutôt que dans une navette spatiale. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre de sa part ni dans quel sens diriger l'entretien. Allions-nous parler de Bach et du Festival Bach dont elle est la présidente d'honneur? De son amour de la musique? De sa passion pour les sciences? De la vie après l'espace? De son retour sur Terre?

Astronaute un jour...

Dans mon esprit, puisqu'elle n'était ni dans l'espace, ni à Houston, ni avec l'Agence spatiale canadienne, Julie Payette n'était plus vraiment une astronaute. Erreur. Elle me le rappela vivement en déclarant: «On ne cesse pas d'être astronaute, on l'est toute sa vie. Astronaute un jour, astronaute toujours. Sauf qu'un peu à l'image des athlètes olympiques, on a une carrière et une après-carrière. Je suis présentement dans mon après-carrière et je ne m'en plains pas. Tout le contraire.»

Puis, pour s'assurer que j'avais bien compris, elle m'a servi une preuve béton attestant qu'elle est toujours une astronaute: l'examen médical annuel qu'elle subira la semaine prochaine à Houston, histoire de sonder les effets de l'espace et de la radiation sur son corps.

Pendant les 20 minutes qui ont suivi cette précision, l'astronaute est revenue au galop. J'ai constaté qu'encore aujourd'hui, Julie Payette prend un plaisir évident à parler de l'espace, des planètes et de la possibilité qu'il y ait une vie intelligente ailleurs que sur Terre. Elle est d'ailleurs convaincue que les humains vivront un jour probablement sur Mars ou une autre planète.

«Dans 500 ans, nos descendants riront de nous tellement nos connaissances sont limitées par rapport à ce qu'elles seront à ce moment-là!», s'exclame-t-elle.

Elle a bien entendu vu The Martian de Ridley Scott, l'histoire d'un astronaute abandonné accidentellement par ses camarades astronautes dans une base sur Mars et qui doit apprendre à survivre et à rétablir le contact avec la Terre.

«La meilleure science-fiction, à mon avis, dit-elle, c'est celle qui ne déroge pas aux grands principes scientifiques et aux concepts de physique, malgré l'interférence de la grosse machine hollywoodienne. Interstellar à mes yeux était une proposition des plus intéressantes. Quant à The Martian, j'ai trouvé le film amusant dans la mesure où aucun humain n'a mis le pied sur Mars. Absolument aucun. Jusqu'à maintenant, il y a eu six missions sur la Lune auxquelles personne de ma génération n'a participé. Toutes les autres missions ont eu lieu dans l'espace.»

Retour au calme

Dire que Julie Payette, qui a vécu sur l'adrénaline pendant 20 ans, ressent chaque jour la même intensité dans son bureau du Vieux-Port serait exagéré. En même temps, elle semble savourer chaque instant d'un retour à une réalité plus calme.

«Pendant 15 ans, à Houston, j'ai vécu très intensément sans avoir droit à l'erreur et en étant toujours dans l'obligation de la haute performance. Ça finit par être très taxant et le pire, c'est qu'on ne s'en rend pas compte parce qu'on n'a aucun recul sur ce qu'on vit. C'est un milieu hyper stressant et compétitif où tout le monde se bat pour ces précieux sièges dans la navette spatiale. Autant dire qu'aujourd'hui, je trouve ma vie pas mal plus facile. Je suis peut-être moins dans l'adrénaline, mais j'ai une meilleure qualité de vie. Et puis, je crois beaucoup au fait qu'une société qui veut progresser doit offrir à ses enfants un éventail de possibilités et de lieux où peuvent germer les étincelles. Et nous ici, au Centre des sciences, on est dans cette business-là: faire jaillir l'étincelle de la passion pour les sciences, on fait ça ici 360 jours par année.»

En organisant son après-carrière, Julie Payette savait au moins une chose: elle voulait revenir vivre à Montréal. «Parce que c'est la meilleure ville au monde pour vivre. J'ai vécu ailleurs et je sais de quoi je parle», affirme-t-elle avec conviction. Mais aussi, elle voulait revenir pour être près de sa famille, de ses parents et pour son fils né aux États-Unis, mais élevé dans les deux cultures.

Des sociologues américains ont trouvé une expression pour décrire les enfants qui ont grandi ailleurs que dans leur pays d'origine et dont la culture se réclame plus du pays d'accueil que du passeport. Ils les appellent des TCK, des third culture kids. Sauf que Julie Payette a tout fait pour que son fils, qui est allé à l'école publique texane, devienne un vrai petit Québécois. Elle a engagé des filles au pair qui étaient toutes Françaises, lui a organisé des classes de français à la maison, des étés au Québec avec la parenté, des virées en Gaspésie. Il n'y a rien que Julie Payette n'a pas fait pour que fiston ait un peu du Québec en lui.

«Il est présentement en première secondaire et son français est impeccable», dit-elle fièrement, comme s'il s'agissait d'une mission qu'elle s'était donnée et qu'elle avait réussie.

L'amour de la musique

Et la musique de Bach, dans tout cela? Je savais que Julie Payette avait fait du piano pendant 20 ans avant de partir pour Houston. Elle m'apprend maintenant qu'elle joue aussi de la flûte et qu'à partir de l'âge de 8 ans, elle a chanté dans plusieurs choeurs, avec l'OSM, l'Orchestre métropolitain et avec celui du Tafelmusik de Toronto. Elle est une grande fan de musique baroque, d'où l'invitation du Festival Bach, qui s'ouvre à la salle Bourgie le 14 novembre avec une de ses pièces préférées: le concerto pour hautbois d'Alessandro Marcello.

Elle me raconte, avec des étoiles dans les yeux, ce soir magique lors d'une mission dans l'espace où, pendant un moment de répit, elle avait flotté jusqu'au hublot de la navette. Les écouteurs vissés aux oreilles, elle avait monté le volume du concerto de Marcello tout en se perdant dans la contemplation émue de la planète bleue au loin. L'espace d'un instant, l'astronaute est revenue parmi nous dans la pièce. Mais à bien y penser, elle y a toujours été.