Allumé par le dithyrambe de la critique, Jean-Marie Zeitouni s'est procuré les enregistrements récents de l'Anglais Christian Blackshaw, consacrés aux sonates pour piano de Mozart. Le maestro a été à tel point impressionné par la maturité et la vision exceptionnelles de ce pianiste virtuose qu'il a entrepris de les mettre en lumière dans un programme de l'ensemble I Musici de Montréal, présenté ce soir à la salle Bourgie sous le thème L'idéal classique.

Idéal pianistique de surcroît!

«Ce répertoire pour piano de Mozart est surjoué, pourtant... Or, j'ai été complètement abasourdi par l'univers sonore que Blackshaw a su créer. Il fallait tenter notre chance avec lui», raconte le directeur artistique et chef de l'orchestre de chambre montréalais.

Voilà donc cette chance: aux côtés de l'ensemble I Musici, Christian Blackshaw interprétera le Concerto pour piano et orchestre no 27 en si bémol majeur (K. 595) de Wolfgang Amadeus Mozart, «une des oeuvres les plus matures, les plus achevées du compositeur», selon Jean-Marie Zeitouni.

D'où cet Idéal classique: «Nous avons construit ce programme autour de Christian Blackshaw et ce concerto de Mozart, en lui adjoignant une oeuvre du XXe siècle, le Dumbarton Oaks Concerto de Stravinski, et une autre du XIXe siècle, la Symphonie no 5 en si bémol majeur (D. 485) de Schubert. Ces trois oeuvres sont présentées comme des hommages à l'esprit classique dans ce qu'il a de plus noble, de plus épuré.»

Jean-Marie Zeitnouni insiste en outre sur la trajectoire atypique de ce pianiste de 66 ans, apparu comme par magie sur les scènes du monde au tournant de cette décennie, soit après un long retrait du circuit international. «Un peu à l'ancienne, Blackshaw cultive son répertoire. Il ne joue que la musique qui le branche, particulièrement Mozart et Schubert. Il est posé, intègre, complet. Son approche est très soignée, même dans sa façon d'échanger.»

Gratitude

Effectivement. Lorsque joint chez lui, en Angleterre, Christian Blackshaw s'avère un être tout simplement exquis. En toute humilité, il remercie la vie après avoir vécu des années difficiles. Après le décès de son épouse d'un cancer dans les années 90, le musicien a choisi de se consacrer à l'éducation de ses filles, pour ne ressurgir que tout récemment.

«Je ne pouvais accepter d'être ce père qui disparaîtrait pendant de longues périodes. Cela m'a permis de gérer mon temps tout en assumant mon rôle de parent avec mes filles. Nous sommes aujourd'hui très proches, je suis très fier d'elles. Mais j'avais pris un risque professionnel: lorsque vous ne jouissez pas d'une grande visibilité, on vous oublie. La nature humaine, j'imagine...»

Paradoxalement, le jeu exceptionnel de Christian Blackshaw se serait démarqué à cause de cette contingence: 

«Je me suis interrogé sur mes habiletés de musicien et de pianiste, réalisant qu'il me fallait travailler encore plus, avec l'espoir que les mélomanes soient de nouveau à l'écoute. Être seul face à moi-même m'a conduit à vraiment réfléchir à la nature de mon jeu. Cette solitude m'a permis plus de répétitions, plus d'évaluations, plus d'ajustements. J'ai quand même été très chanceux d'obtenir ce succès au bout du compte.

«De nos jours, ajoute-t-il, si un musicien classique ne peut compter sur l'enregistrement d'un succès commercial, le milieu et le public peuvent demeurer sceptiques. Or, j'ai déjà refusé les offres alléchantes de compagnies réputées parce que je ne me sentais pas prêt à un engagement majeur. J'estime avoir fait le bon choix en refusant poliment ces offres. Plus récemment, on m'a permis d'enregistrer ces sonates de Mozart, j'en suis très heureux.»

«Faire danser» Mozart

Et comment compte-t-il attaquer ce Concerto pour piano et orchestre no 27, au programme montréalais?

«Cette oeuvre est mythique pour ses auditeurs comme elle l'est pour ses interprètes. Car elle provient d'un créateur à la fin de sa vie, l'un des plus grands génies de la musique toutes époques confondues. Je ne sais pas si Mozart pressentait qu'il s'agissait de son ultime concerto pour piano puisqu'il fut achevé au début de 1791, l'année de sa mort. Prenons le troisième mouvement du concerto 595. Est-ce l'expression de la résignation? Est-ce un adieu? En fait, je ne crois pas, car cette musique coule de source. C'est une joie divine! À mon sens, les pensées finales de Mozart se trouvent plutôt dans son Requiem.»

Chose certaine, Christian Blackshaw voue une admiration sans bornes à ce compositeur dont il est considéré comme l'un des plus grands interprètes au piano.

«Profondeur, humour, étincelles, pathos, ce chant de la vie... Il n'y a pas une seule mesure ennuyeuse dans la musique de Mozart. Plus je l'étudie, plus je me range du côté de sa puissance et de son génie extraordinaires.»

On comprendra que notre interviewé repousse toute approche académique du répertoire mozartien.

«Autant que je le peux, je m'applique à "faire danser" cette musique. Et c'est incroyablement difficile d'y parvenir. En ce sens, je souhaite transcender la musique par mon jeu, sans miser à outrance sur la dimension technique. Il faut trouver l'équilibre entre l'exécution technique, la compréhension du texte et la spontanéité du jeu; il faut exprimer la force spirituelle et les émotions que suggère l'oeuvre.

«La connaissance de la partition est fondamentale, mais cette connaissance doit autoriser une certaine spontanéité. Lorsque nous, musiciens, pouvons acquérir cette liberté d'interprétation et créer quelque chose de spécial pour l'auditeur, nous avançons dans la vie.»

Quelle est la personnalité musicale de Christian Blackshaw, au fait?

«Aucune idée. I just do it», répond doucement le principal intéressé.

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À la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal, ce soir, 20 h.