Ayant vu trois fois la production du tandem argentin Roberto Oswald-Anibal Lapiz de Madama Butterfly à l'Opéra de Montréal, soit en 1988, 1993 et 2002, celui qui vous parle a redécouvert dans une nouvelle fraîcheur cette scénographie magnifiquement dépouillée, l'une des belles acquisitions des 35 ans d'histoire de l'OdM. La révélation du spectacle reste cependant Melody Moore, soprano américaine au prénom prédestiné, dans le rôle-titre.

C'est la quatrième fois que l'OdM utilise la production Oswald-Lapiz pour la célèbre tragedia giapponese de Puccini, mais la septième fois qu'il monte celle-ci. Or, de toutes les interprètes du personnage central, la nouvelle venue Melody Moore est certainement la plus complète. Tout est là : la voix, tout à la fois riche, souple et étonnamment puissante (bien qu'un rien détimbrée à la toute fin de son grand air), la présence scénique, toujours entière, aux gestes généreux et expressifs, enfin le jeu, constamment varié, intelligent, héroïque même, émouvant au point de jeter un silence de glace dans la salle comble. Bien sûr, il ne faut pas chercher là l'image exacte d'une adolescente passant de 15 à 18 ans en trois heures de spectacle. Nous sommes à l'opéra...

Concernant le rôle de Pinkerton, qui abandonne cette Butterfly désespérément amoureuse de lui, l'OdM annonçait jeudi que «pour des raisons de santé, le ténor québécois Antoine Bélanger interprétera le rôle de Pinkerton les 19 et 22 septembre». Voici donc qu'on fait de l'opéra pour des raisons de santé. Il faut comprendre que le ténor annoncé, un Grec du nom de Demos Flemotomos, et qui au surplus en remplaçait déjà un premier, a été déclaré «indisposé» au micro samedi soir. Il chantera, en principe, aux trois dernières représentations.

On peut dire que, dans les circonstances, n'ayant eu que quelques heures pour se préparer, M. Bélanger a fait l'affaire. Il ne joue à peu près pas, et même pas du tout, mais le rôle de Pinkerton ne va pas très loin, de toute façon. Pour l'essentiel, le ténor de Québec a chanté plus que convenablement, malgré une tendance à forcer l'aigu.

Chez les autres rôles principaux, découverte de deux belles et puissantes voix du type grave : la mezzo canadienne Allyson McHardy et le baryton américain Morgan Smith, elle en servante de Cio-Cio-San, lui en consul américain. Par ailleurs, la jeune McHardy apporte à son personnage effacé beaucoup plus de force et d'humanité que ce qu'on y rencontre habituellement. On souhaiterait la même chose chez le consul qui, pour l'instant, paraît presque indifférent.

Sauf pour un Bonze pas du tout terrifiant (ce qu'il devrait être) et un Commissaire au timbre détestable, les rôles complémentaires sont tous bien tenus, même que l'entremetteur Goro est joué avec un certain humour.

Comme on le sait sans doute déjà, il n'y a ici qu'un décor, soit un assemblage de grands panneaux coulissants qui représentent à la fois l'intérieur et l'extérieur de la demeure de Cio-Cio-San. Invité à son tour à y circuler, François Racine a établi une mise en scène à la fois traditionnelle et efficace. On note cependant l'absence de l'opération - pourtant bien indiquée dans la partition -- des trois petits trous qu'y perce Cio-Cio-San pour elle-même, Suzuki et l'enfant dans la scène où le trio attend le retour de Pinkerton.

Les éclairages méritent une mention très spéciale, soulignant avec force les diverses situations. Bonne participation de l'Orchestre Métropolitain aussi, après un départ un peu laborieux. 

MADAMA BUTTERFLY, opéra en trois actes, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d'après David Belasco, musique de Giacomo Puccini (1904). Production : Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier, Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations : 22, 24, 26 et 28 septembre,19 h 30. Avec surtitres français et anglais. 

Distribution :

Cio-Cio-San, geisha, surnommée Madama Butterfly : Melody Moore, soprano

Benjamin Franklin Pinkerton, officier de la marine américaine, son époux : Antoine Bélanger, ténor

Suzuki, servante et confidente de Cio-Cio-San : Allyson McHardy, mezzo-soprano

Sharpless, consul des États-Unis à Nagasaki et ami de Pinkerton : Morgan Smith, baryton

Goro, agent matrimonial : James McLennan, ténor

Le Bonze, oncle de Cio-Cio-San : Miklos Sebestyén, baryton

Le prince Yamadori, prétendant de Cio-Cio-San : Christopher Dunham, baryton

Le Commissaire impérial : Dylan Wright, basse

Kate, nouvelle femme de Pinkerton : Pascale Spinney, mezzo-soprano

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Mise en scène : François Racine

Décor : Roberto Oswald

Costumes : Anibal Lapiz

Éclairages : Anne-Catherine Simard-Deraspe

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale : James Meena