N'ayons pas peur des mots. I n t e r m i n a b l e, c'est le terme qui décrit le mieux cette soirée de trois heures et 15 minutes bien comptées ou, pour dire les choses autrement, cette version concert de Pelléas et Mélisande avec laquelle Kent Nagano ouvre la 82e saison de l'Orchestre Symphonique de Montréal et sa 10e saison comme titulaire.

L'unique opéra de Debussy est extrêmement long : cinq actes, on ne sait plus combien de scènes, un déroulement dramatique presque statique, un discours musical proche du parlé et, pour ceux qui aiment l'«opéra à airs», aucun air qu'ils puissent fredonner, sauf, à la rigueur, les quelques mesures des «longs cheveux».

Une oeuvre aussi particulière requiert une réalisation absolument exceptionnelle. À cet égard, le disque a préservé pour la postérité quelques réussites géniales qui en font oublier la longueur et... les longueurs. Ce n'est pas le cas ici. En fait, de tous les éléments en présence, qu'ils soient d'ordre vocal ou orchestral, un seul se rapproche de cet idéal né d'une longue et affectueuse fréquentation de ce chef-d'oeuvre. Saluons ici le Français Nicolas Testé, qui apporte au personnage du vieillard aveugle Arkel, roi d'Allemonde et grand-père des demi-frères ennemis Pelléas et Golaud, une authentique basse profonde, une admirable articulation du texte (un art presque perdu aujourd'hui!) et une convaincante présence, malgré les limites du concert.

Il n'y a rien de vraiment mauvais, mais rien de transcendant non plus, dans ce qui complète la soirée. Des deux protagonistes, la Mélisande d'Hélène Guilmette remporte facilement la palme avec une voix limitée mais agréable et une interprétation toujours sensible, sinon bouleversante. L'obscur Pelléas importé de Suisse, Bernard Richter, pousse la voix jeune et claire qu'on associe au personnage, mais donne peu de relief dramatique à un texte qu'il n'articule d'ailleurs pas toujours bien.

Les moments d'extase ou de crainte vécus par les deux jeunes amants correspondent hélas! à un engloutissement des voix aiguës par l'orchestre, à une surcharge qui nous fait nous demander si l'acoustique de la Maison symphonique est finalement aussi parfaite qu'on le dit...

Le troisième personnage principal du drame, Golaud, a été confié à Philippe Sly. Texte et tradition donnent Golaud comme un homme d'un certain âge. Sly a une voix beaucoup trop jeune, beaucoup trop gentille aussi, pour nous convaincre. Dommage, car il réunit toutes les autres qualités requises : voix et projection impeccables, intelligence du texte, diction française irréprochable. On le voit même refermer sa partition d'un geste menaçant après qu'il eût emmené son rival Pelléas dans les souterrains du château. Plus tard, c'est caché derrière la harpe qu'il viendra surprendre Pelléas et Mélisande dans leur dernière rencontre!

Les autres rôles sont très brefs. Marie-Nicole Lemieux transforme la lecture de la lettre de Golaud en une sorte de numéro vocal marqué de quelques imperfections de diction et effets de poitrine verdiens. À l'opposé, la toute menue Florie Valiquette, habillée en garçon, chante impeccablement et joue avec justesse l'ombrageux petit Yniold, fils de Golaud, que celui-ci charge d'espionner Pelléas et Mélisande. Pour sa part, le jeune Hugo Laporte livre avec grand soin les quelques phrases du Berger et du Médecin. Une bonne note aussi au petit choeur invisible qui fait Hoé! Hisse hoé!.

Nagano maintient l'équilibre voulu entre les voix et l'orchestre, mais sans toujours tirer de celui-ci toute l'atmosphère debussyste rêvée. Il recrée plus facilement la véhémence qui s'installe à mesure que grandissent les soupçons et la jalousie de Golaud.

PELLÉAS ET MÉLISANDE, drame lyrique en cinq actes, livret de Maurice Maeterlinck, musique de Claude Debussy (1902). Version concert, avec surtitres français et anglais. Orchestre Symphonique de Montréal et Choeur OSM. Chef d'orchestre : Kent Nagano. Maison symphonique, Place des Arts.

Reprise ce soir, 20 h.