Formé en 1945-1946, le Quatuor à cordes Borodine a connu en 70 ans d'inévitables changements d'effectifs. En fait, il ne reste au sein du groupe russe aucun survivant de la première heure. Mais l'esprit est toujours là. Nous l'avons constaté à chaque précédente visite du quatuor, malgré certains remplacements aux différents pupitres. Même très forte impression cette fois-ci, comme couronnement de la 123e saison du LMMC qui, en 1973, avait été le premier à afficher ici «Quatuor Borodine» avec, notamment, son légendaire «parrain» Valentin Berlinsky au violoncelle.

Le plus haut niveau de rigueur, de concentration et d'effacement devant l'oeuvre à défendre : ces quelques mots résument, encore que très sommairement, l'inoubliable prestation offerte par le Borodine à la salle comble venue l'écouter. Quelques malheureuses toux prenaient des proportions catastrophiques dans ce silence de plomb qui accompagna chaque instant de musique.

Les visiteurs avaient établi un programme extrêmement sérieux et équilibré. De Chostakovitch, compositeur dont ils sont devenus en quelque sorte les porte-parole, ils avaient choisi deux des quatuors les moins fréquentés, le 4e et le 13e, conçus à 20 ans d'intervalle. Ils passaient ensuite à Beethoven, choix inévitable pour tout ensemble de ce genre, de quelque nationalité qu'il soit, et s'arrêtaient à l'opus 131, l'un des fameux et quasi impénétrables Derniers Quatuors.

Les deux Chostakovitch entendus ne comptent pas parmi les plus remarquables des 15 du compositeur. Ce qu'en fait le Borodine est d'un tout autre ordre. Isolément et collectivement, les musiciens confèrent un stimulant relief et donnent un sens aux effets instrumentaux accumulés dans le 4e Quatuor. Dans l'élégiaque 13e, aux six parties enchaînées, ils atteignent un degré d'expression qui nous transporte dans un autre monde.

Ces quelque 50 minutes de Chostakovitch nous ont comblés. Un autre sommet nous attendait après l'entracte avec cet opus 131 de Beethoven constitué de sept mouvements également enchaînés et remplis de contrastes et d'imprévus. Il y a là une fugue, deux brefs mouvements servant d'introduction à de plus longs, une série de sept variations et, comme finale, une forme sonate. Extrêmement déroutante il y a près de 200 ans, cette musique l'est encore aujourd'hui. Entre les mains de musiciens médiocres, ce qui est trop souvent le cas, elle sonne creux. Tout à l'opposé, un ensemble génial comme le Borodine en traduit toute la troublante et abstraite dimension.

QUATUOR À CORDES BORODINE - Ruben Aharonian et Sergueï Lumovsky (violons), Igor Naidin (alto) et Vladimir Balchine (violoncelle). Hier après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation : Ladies' Morning Musical Club.

Programme :

Quatuor no 4, en ré majeur, op. 83 (1949) - Chostakovitch

Quatuor no 13, en si bémol mineur, op. 138 (1970) - Chostakovitch

Quatuor no 14, en do dièse mineur, op. 131 (1826) - Beethoven