Précédé d'une belle réputation, le Quatuor Modigliani fera ses débuts montréalais cette semaine. Entendu l'été dernier à Lanaudière et au Domaine Forget, le quatuor avait obtenu des critiques élogieuses. Le concert présenté mercredi soir à la salle Bourgie constitue son seul arrêt au Canada, le lendemain d'une prestation à Carnegie Hall. La Presse s'est entretenue avec François Kieffer, violoncelliste de l'ensemble.

Les quatre membres du Modigliani se sont connus en 2003, au Conservatoire national supérieur de Paris, alors qu'une grande exposition consacrée au peintre du même nom était présentée au palais du Luxembourg.

«À l'époque, bien des quatuors prenaient le nom de leur premier violon, dit François Kieffer. Nous trouvions que Modigliani était un nom très musical, et que son style était reconnaissable entre tous. Quand on a vu un Modigliani une fois, on s'en souvient toute sa vie. On ne peut pas le confondre avec d'autres peintres. Cette singularité fait le charme de son oeuvre et, pour nous, il était important d'avoir une identité sonore et de tracer notre voie.On espère que le public nous reconnaisse à notre signature sonore, comme il reconnaît la signature des tableaux de Modigliani.»

Cette signature sonore, elle est évidemment difficile à décrire avec des mots. On peut l'attribuer en grande partie aux instruments d'illustres luthiers italiens dont ils jouent. Le premier violon, Philippe Bernhard, joue sur un Guadagnini fabriqué en 1780, tandis que le deuxième violon, Loïc Rio, joue sur un Gagliano de 1734. L'altiste Laurent Marfaing joue sur un Mariani de 1660, et François Kieffer, sur un violoncelle Goffriller de 1706.

«Le timbre de nos instruments nous distingue, dit Kieffer. Celui du premier violon, par exemple, a de très beaux graves. Nous avons un son de quatuor qui va plus vers les basses; on peut dire qu'il a quelque chose de terrien. Les critiques allemands disent qu'il est ancré dans le sol. Dans un résumé de concert, un auteur a dit que nous faisions de la musique comme les volcans crachent de la lave. Ça m'a fait rire, mais il y a du vrai là-dedans. Il est important de dire aussi que nous avons joué beaucoup de Haydn, compositeur avec lequel nous avons façonné notre son.»

Depuis douze ans, les quatre musiciens sculptent patiemment cette sonorité.

«Le temps que nous passons ensemble est irremplaçable, ajoute-t-il. On pourrait mettre quatre excellents solistes ensemble et les faire jouer, et peut-être qu'on aurait un très beau concert. Mais le son d'un quatuor est quelque chose de particulier. Dès notre première répétition, nous avons vécu une expérience sonore différente de tout ce qu'on avait fait avant, et c'est pour cela qu'on ne s'est pas quittés.»

Ils ont aussi la chance d'être devenus des amis, de bien s'entendre et d'avoir des goûts communs.

«Il faut sans cesse se dire qu'on est quatre et que sans les autres, on ne serait pas là. Pour réussir à rester ensemble, il faut comprendre que le quatuor est une école d'humilité et de partage. Le fait de s'écouter et de vouloir apprendre des autres, qui sont nos oreilles et notre miroir, nous permet d'apprendre à dialoguer musicalement.»

Trois quatuors

Même s'il refuse de se limiter à un style ou à une époque, le Modigliani a joué beaucoup de musique française depuis ses débuts, gravant notamment sur disque le premier quatuor à cordes de Camille Saint-Saëns, qui sera au programme du récital de mercredi soir.

«C'est une oeuvre peu jouée et peu enregistrée, dit le violoncelliste. Il l'a composée en 1899 et l'a dédiée au grand violoniste Eugène Ysaye. Ce quatuor possède une fougue et une richesse mélodique qui en font une oeuvre très attachante avec une partie de premier violon très virtuose, qui porte la marque de son dédicataire.»

Également au programme, le Quatuor en ré mineur K. 421 de Mozart et un autre quatuor français: celui de Maurice Ravel.

«Il a été composé entre 1902 et 1903, alors que Ravel n'avait que 27 ans. Il exprime beaucoup de sensualité et montre une intuition exceptionnelle en marquant une nouvelle ère, une évolution dans les textures sonores. Il est peut-être moins révolutionnaire que le quatuor de Debussy, et plus épuré, mais c'est une perfection. Ce qui est troublant, c'est que Ravel n'était pas satisfait du résultat. Mais Debussy trouvait ce quatuor magnifique et lui a dit: «Au nom des dieux, ne touchez à rien de ce que vous avez écrit.» Il a été composé à une époque intéressante en France: celle du premier Tour de France et du premier film de science-fiction, Le voyage dans la lune, de Georges Méliès.»

_____________________________________________________________________

À la salle Bourgie le 15 avril, à 19h30.