Entre la tournée de l'Orchestre de la Suisse Romande qui s'est terminée samedi à Washington et un engagement à Boston ce soir, Charles Dutoit a fait un saut à Montréal hier pour confirmer ses retrouvailles l'an prochain avec l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) qu'il a dirigé pendant 25 ans.

Le mariage entre Dutoit et son orchestre ne s'est pas terminé de façon élégante, a rappelé le président du conseil d'administration de l'OSM, Lucien Bouchard, assis aux côtés du maestro suisse et du président du festival Montréal en lumière, Alain Simard, en conférence de presse. Menacé d'une poursuite en Cour supérieure par la Guilde des musiciens, le maestro a fait savoir par voie de communiqué qu'il démissionnait de ses fonctions le 10 avril 2002 alors qu'on s'apprêtait à célébrer ses 25 ans à la tête de l'orchestre.

Dutoit parlait hier de circonstances tristes, ajoutant que, dans les grands ménages, il y avait toujours de la bisbille, qu'il reconnaissait ses torts et qu'il était temps de passer à autre chose. Il a même dit qu'il ne s'attendait pas à revenir si tôt diriger l'OSM, un aveu étonnant de la part d'un chef qui aura attendu 14 ans avant de renouer avec ses anciens musiciens.

En fait, ces retrouvailles n'auraient probablement jamais eu lieu si Alain Simard ne s'en était pas mêlé, il y a trois ans. Simard a insisté: la Maison symphonique, que Dutoit avait réclamée si longtemps, l'attendait. L'idée de faire appel à un orchestre étranger a vite été écartée.

«L'occasion s'est bien présentée parce que c'est Simard, un vieil ami que j'ai toujours admiré et qui est extérieur à toute l'affaire de l'OSM, qui m'a fait venir, d'expliquer Dutoit en entrevue à La Presse. Vous comprenez ce que je veux dire: ce n'était pas une réponse directe à une invitation officielle de l'OSM, mais indirecte. Si je n'avais pas rencontré Alain, je pense que ça ne se serait pas produit.»

Pour son retour à Montréal, dans le cadre du festival Montréal en lumière les 18 et 20 février 2016, Dutoit tenait à être accompagné par la pianiste Martha Argerich, la première soliste avec laquelle il a travaillé en 1959, qu'il a épousée 10 ans plus tard et qui a maintes fois joué avec l'OSM sur scène et même sur disque.

C'est Martha Argerich qui était la soliste invitée quand Dutoit et l'OSM ont effectué leur première tournée européenne «Ça va faire 59 ans qu'on se connaît quand on va jouer ici. Elle va avoir 75 ans et moi, 80, l'an prochain. J'espère qu'on n'aura pas la grippe», de dire le maestro en riant.

La Maison symphonique

L'an dernier, Dutoit a eu droit à une visite privée de la Maison symphonique où il a assisté par la suite à un récital du violoncelliste Yo-Yo Ma, puis à un concert du Los Angeles Philharmonic.

«La salle est superbe, dit-il. Les cuivres et les percussions de l'orchestre de Los Angeles, c'était beaucoup trop fort, mais un orchestre invité n'a pas le temps d'ajuster l'acoustique, surtout un orchestre américain qui joue dans des salles beaucoup plus grandes et a l'habitude de plus de son.»

Plus tôt, le maestro s'était fait demander comment il réagirait si certains musiciens de l'OSM, avec qui il passera une semaine en février 2016, refusaient encore de jouer pour lui. «Si, sur les 100 musiciens, il y en a un ou deux qui ne veulent pas jouer, parce qu'on leur a donné cette possibilité, tant mieux pour eux, tant mieux pour tout le monde, a-t-il dit. Mais s'ils sont là, ils vont jouer comme tout le monde.»

Depuis son départ, Dutoit a gardé le contact avec certains de ses anciens musiciens qui lui écrivaient ou qu'il croisait lors de ses escales à Montréal où il a toujours un pied-à-terre avec sa femme, la Montréalaise Chantal Juillet. «Quand je suis parti, j'ai reçu à peu près une cinquantaine de messages des musiciens de l'orchestre pour dire au revoir, des choses très gentilles», dit-il.

Après son départ, Dutoit a consacré jusqu'en 2007 les trois mois et demi par année qu'il passait à Montréal à visiter des pays qu'il n'avait pas encore découverts.

«En 50 ans de voyages, je suis allé dans 196 pays, tous les pays du monde en fait, raconte-t-il. J'ai même fait un voyage de Pearl Harbor à Hiroshima à travers les îles du Pacifique en lisant des livres japonais et américains pour comprendre la guerre du Pacifique et le Japon, surtout le respect total de l'empereur-dieu dans lequel étaient élevés les Japonais.»

Plus récemment, Dutoit a tourné dans 29 pays en trois ans avec l'Orchestre philharmonique de Londres, il passe de trois à quatre mois par année à diriger des orchestres aux États-Unis et tous les mois de décembre, il renoue avec son vieil orchestre de la NHK au Japon. Mais s'il se réjouit du succès de Yannick Nézet-Séguin à la tête du Philadelphia Orchestra dont il demeure le chef émérite, il a renoncé à reprendre en main les destinées d'un orchestre: «À mon âge, c'est trop dur. Ce n'est pas seulement les concerts. En Amérique, il y a les levées de fonds avec des dames aux cheveux violets et ça, c'est énormément de boulot.»

La moitié de sa vie active

Charles Dutoit aura finalement consacré près de la moitié de sa vie active à l'OSM.

«À mon arrivée, c'était un bon orchestre, mais ce n'était pas un orchestre qui avait une personnalité ni une image très prononcée, se souvient-il. On a pu construire ça ensemble pendant toutes ces années et heureusement qu'on a pu convaincre la maison Decca de venir faire des disques ici, ce qui a donné une envolée mondiale à l'orchestre. On a eu beaucoup de chance d'avoir des musiciens ambitieux, mais il a fallu les amener à être ambitieux et les mettre dans le bon sillon pour ne pas qu'ils foutent le camp tous les ans.»

Lui-même a reçu des propositions intéressantes d'orchestres américains et européens pendant son séjour à Montréal, mais il avait promis à Decca qu'il resterait à Montréal au moins dix ans: «Je gardais Montréal parce que c'était mon petit bébé, surtout pour les disques qui rapportaient des revenus supplémentaires importants.»

L'an prochain, Charles Dutoit aura sans doute un peu l'impression de retrouver un enfant qu'il a quitté au moment où il entrait dans la vie adulte. Mais un enfant qui aura beaucoup changé puisqu'environ 40% des effectifs de l'OSM ont été renouvelés depuis son départ.

«Bien sûr, ça sera émouvant aussi de revoir les musiciens en face et surtout de refaire de la musique, dit-il. Mais je n'ai pas changé. J'ai la même manière de faire de la musique depuis toujours, la même discipline, le même travail. Je n'ai pas changé non plus ma façon de situer ce qu'on veut et d'y parvenir.»

Charles Dutoit et l'OSM, à la Maison symphonique, les 18 et 20 février 2016. Billets en vente le jeudi 26 février, 9h.