Benedetto Lupo se produit chez nous depuis une douzaine d'années. On l'a entendu à Montréal même, à Lanaudière, à Orford et ailleurs, avec orchestre et en récital. À son tour, le plus que centenaire LMMC invitait hier le pianiste italien à y faire ses débuts et affichait complet depuis plusieurs jours. Il faut donc attribuer à la subite tempête de neige les rares sièges de Pollack restés inocccupés.

Petit, effacé, le crâne rasé, on dirait un moine. Mais l'homme a vite fait de nous étonner par la puissance de sa sonorité et la virtuosité de son jeu. L'étonnement est double puisque le musicien racé, davantage identifié à Mozart, par exemple, a choisi comme pièce de résistance la rare Sonate de Tchaïkovsky. La discographe de l'oeuvre est mince (Richter et quelques autres) et nos archives ne mentionnent qu'une précédente exécution à Montréal: par la légendaire Tatiana Nikolaïeva, en 1990.

L'oeuvre en quatre mouvements totalisait cette fois 31 minutes. On admire le pianiste d'avoir mémorisé ce déluge de notes et d'avoir conféré le maximum d'expression à cette musique extrêmement touffue et un peu vide. En programmant Tchaïkovsky, M. Lupo a manifestement voulu renouveler le menu des récitals. On ne lui en fera donc pas le reproche, même si, en dernière instance, on comprend pourquoi cette oeuvre n'est à peu près jamais jouée!

On pourrait presque en dire autant des Schumann inscrits en première partie. On regrette que M. Lupo ait ignoré la Fantaisie op. 17 ou les Études symphoniques, qui sont les vrais chefs-d'oeuvre du catalogue pianistique schumannien, et qu'il ait préféré la Sonate op. 22. L'oeuvre peut produire quelque effet, avec ses indications telles que «aussi vite que possible», «plus vite», «encore plus vite» et «toujours plus vite». M. Lupo y ajoute d'ailleurs du sien: «toujours plus fort», semble-t-il avoir lu en la travaillant.

Pour l'ensemble, son interprétation reste celle d'un maître. Phrasé, respiration, naturel du discours: on n'imagine pas cette musique traduite avec plus de conviction. La même remarque s'applique aux pièces carrément inférieures jouées au tout début, si l'on excepte l'envoûtante mélodie de la deuxième des trois Romances op. 28, à laquelle on greffera l'extrait des Bunte Blätter joué en rappel.

Merci donc à M. Lupo d'avoir, pour une fois, regardé ailleurs que chez Beethoven et quelques autres. Mais il reste que ce sont là les vrais sommets...

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BENEDETTO LUPO, pianiste. Dimanche après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: Ladies' Morning Musical Club.

Programme: Blumenstück, op. 19 (1839), Drei Romanzen, op. 28 (1839), Sonate no 2, en sol mineur, op. 22 (1838) Schumann Sonate en sol majeur, op. 37 (1878) - Tchaïkovsky