Nous connaissons Jean-Efflam Bavouzet par le disque depuis au moins 2003, l'année de son intégrale Ravel chez Dabringhaus und Grimm. Étrangement, le plus recherché de tous les pianistes français actuels a attendu la cinquantaine avant de se produire ici.

On l'a d'abord entendu deux fois en concerto : avec le National de France en 2011 et avec l'OSM en 2012. Jeudi soir, il donnait ici son premier récital, salle Bourgie, devant quelque 300 personnes.

M. Bavouzet avait établi un programme entièrement français où le répertoire peu fréquenté avait une grande place. L'idée était stimulante : enfin, on allait entendre autre chose que l'habituel menu Bach-Beethoven-Brahms avec variantes. Le résultat fut plus inégal, mais quand même intéressant.

Pour les trois premières pièces, le pianiste de 52 ans a son cahier à musique devant lui et le public, qui se fait souvent reprocher de trop applaudir et surtout d'applaudir n'importe quand et n'importe quoi, attend la fin des trois pièces pour se manifester.

On entend d'abord du Gabriel Pierné. L'homme n'était pas le premier venu : chef d'orchestre, il dirigea la création de L'Oiseau de feu de Stravinsky en 1910. De cet élève de Franck, M. Bavouzet a choisi le Nocturne en forme de valse, deuxième d'un recueil de trois pièces, op. 40. Jean-Alexandre Ménétrier a beau parler ici de «curieuses hésitations tonales», cela reste d'un intérêt fort limité, presque de la musique de salon.

Ce qui suit nous amène à un niveau bien supérieur. La signature est peu connue : Abel Decaux. Ancien élève de Massenet, Decaux est devenu, pour les musicologues, le «Schoenberg français», s'étant engagé dans l'atonalité en même temps que l'auteur de Pierrot lunaire. On avait d'abord annoncé que M. Bazouvet jouerait le recueil Clairs de lune, datant de 1900-1907 et comprenant quatre pièces. Il ne retint que Le Cimetière, troisième pièce du recueil mais dernière à avoir été composée.

Le pianiste a le texte devant lui. Celui qui vous parle l'a aussi. En trois pages qui font six minutes, et le plus souvent sur trois portées, Decaux indique toutes sortes de subtilités que le pianiste traduit avec minutie. Un certain climat s'établit... mais le recueil complet eût laissé beaucoup plus d'impression. À cet égard, on écoutera Marc-André Hamelin ou Frédéric Chiu.

M. Bavouzet devait aussi jouer le célèbre Clair de lune de Debussy, mais l'a remplacé par l'un des Préludes, La terrasse des audiences du clair de lune. Le pianiste paraît ici un peu moins inspiré. Il est vrai que son intégrale Debussy au disque a établi un standard difficile à égaler.

Une plus grande déception allait suivre avec cet arrangement de Jeux. Debussy a conçu pour grand orchestre ce «poème dansé» qui, réduit au piano, paraît gauche et interminable. Et on en a pour 16 minutes! Cette fois, M. Bazouvet joue par coeur et on l'admire d'avoir mémorisé ces millions de notes.

Reprenant son cahier à musique, il propose Le Livre de Jeb, que son ami Bruno Mantovani lui a destiné et qu'il a créé en 2009. La chose se présente comme une série de petits épisodes dont chacun est constitué de la répétition des mêmes traits où le suraigu du clavier est abondamment exploité.

En terminant, M. Bavouzet revient à Miroirs de Ravel, mais avec nettement moins d'éclat que dans son enregistrement d'il y a 12 ans. La soirée fut en effet très exigeante. Néanmoins, aux acclamations de l'auditoire debout, le pianiste répond par une rarissime Toccata de Massenet et un autre des Préludes de Debussy, et toujours du 2e livre : Feux d'artifice, avec son bref écho de cette Marseillaise entendue il y a quelques jours en des circonstances fort différentes...

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JEAN-EFFLAM BAVOUZET, pianiste. Jeudi soir, salle Bourgie du Musée des beaux-arts. Radiodiffusion : Radio-Canada, 25 février, 20 h.