Le ténor italien Enrico Caruso n'a pas seulement déchaîné les passions sur scène, comme en témoignent les lettres passionnées d'admiratrices qui figurent parmi des centaines de documents bientôt mis aux enchères à Londres.

Au total, plus de 700 documents personnels, jamais rendus publics auparavant, de celui qui est considéré par certains comme le plus grand chanteur d'opéra du siècle dernier, seront disséminés par la maison Christie's, pour un prix évalué à 250 000 livres (450 000 $), le 19 novembre.

Parmi eux figurent notamment une vingtaine de lettres et cartes postales, sept télégrammes et plusieurs photos d'une héritière argentine, Vina Velasquez, avec laquelle Caruso, mort en 1921 à l'âge de 48 ans, partagea une romance qui fera les titres des journaux de l'époque.

Ces courriers exaltés, à la calligraphie parfois agitée, sont écrits pour certains en italien, d'autres en espagnol et d'autres encore en français, ou même dans les trois langues à la fois. Comme quand Vina Velasquez commence ses adieux par un «mille baisers» et qu'elle termine par yo ti voglio tutto mio («Je te veux tout à moi»).

«Mille baisers très forts sur ta bouche adorée de la petite Vina, qui met ses lèvres voluptueusement partout. Je te veux tout à moi», écrit-elle encore.

Selon un article du Washington Times datant du 28 juillet 1912, Vina Velasquez était une femme «plutôt robuste, présentant un type particulier de beauté espagnole, joyeuse sans être extraordinaire». Une description confortée par les photos proposées par Christie's.

Promesses non tenues

L'article du Washington Times est daté de Paris et annonce les fiançailles des deux amants. Mais de mariage il n'y eut point.

«Nous savons qu'à cette période de sa vie, il se mettait en permanence en situation de s'engager avec certaines personnes, ou alors ces personnes pensaient qu'il s'engageait, mais il n'allait pas jusqu'au mariage», explique Thomas Venning, responsable du département des livres et manuscrits de Christie's.

«Il y a eu au moins deux cas où il a été poursuivi» pour rupture d'engagement, ajoute-t-il. Des actes de l'un de ces procès figurent d'ailleurs dans les archives mises en vente.

Une autre série de courriers révèlent la relation torturée qu'il a entretenue pendant onze ans, à partir de 1897, avec Ada Giachetti, une chanteuse lyrique qui quitta son mari pour lui et avec laquelle il eût quatre enfants. Avant qu'elle ne le quitte à son pour partir avec leur chauffeur.

Une lettre datée du début de leur relation montre que l'artiste, âgé alors de 24 ans, était plus préoccupé de recevoir de ses nouvelles que de ses débuts à Milan. «Je sens que je vais devenir fou, je ne peux pas me contrôler (...) Cela fait deux jours que je n'ai pas reçu de lettre de toi... Quelle torture», écrit-il.

Malgré tout, Milan lui fera un accueil triomphal qui lui permettra d'écrire à sa bien-aimée: «Victoire! Le public nous a rappelés au moins sept fois au milieu d'applaudissements unanimes... Mon avenir est assuré».

Il n'épousa jamais Ada Giachetti, ni sa soeur Rina avec laquelle il vécut par la suite quatre ans. Finalement, Caruso se maria en 1918 avec l'Américaine Dorothy Park Benjamin, avec laquelle il eut une fille.

Ses courriers sont aussi le reflet de l'exigence physique réclamée par la scène. En 1900, il dit: «Le public a continué pendant cinq minutes à réclamer un rappel que j'ai refusé obstinément (...) Je me suis affaissé sur le sol et... il a fallu quatre personnes pour me relever, j'étais si fatigué».

Il confie aussi son trac dans une lettre datée de Londres en 1904: «Avant chaque performance, je suis si nerveux que je suis presque odieux avec tout le monde (...) On me dit que la camomille fait effet».

Caruso avait légué ses archives peu avant sa mort à l'un de ses amis de Boston, Antonino Perrone. Avec le temps, elles ont atterri entre les mains de leur actuel propriétaire, dont l'identité n'a pas été révélée.