Madame la grande directrice de l'OSM est venue annoncer au micro que le programme allait être - et je cite - «consacré en entier» à Richard Strauss, alors que ledit programme comportait, aussi, le deuxième Concerto pour piano de Saint-Saëns.

Bien sûr, Madame s'est trompée... mais pas à ce point! Les deux oeuvres de Strauss inscrites en début et en fin de concert, soit le poème symphonique Tod und Verklärung et la Symphonia domestica, totalisèrent 71 minutes bien comptées et, plus encore, engloutirent à peu près complètement le pauvre petit pianiste Benjamin Grosvenor avec son Saint-Saëns de 22 minutes.

Le concert n'était peut-être pas «consacré en entier» à Richard Strauss, mais une chose est sûre: cette musique fait un bruit épouvantable, un bruit parfois trop fort pour la Maison symphonique elle-même, un bruit dont le Saint-Saëns nous délivra à peine et qui, redoublant de force en fin de concert, extirpa tout ce qui pouvait rester du concerto.

Poursuivant son rodage du répertoire destiné à l'imminente tournée asiatique de l'OSM, Kent Nagano avait groupé les deux Strauss en un seul concert. Si la formule est pratique, cela fait néanmoins beaucoup trop de la même musique lourde, boursouflée, tonitruante, prétentieuse et un rien vulgaire. «C'est plein... et c'est vide.» Cette observation d'une auditrice me paraît d'une rare justesse. J'ajouterais ceci: il y a cent fois plus de musique dans un mouvement de quatuor de Haydn! Strauss est un orchestrateur de génie, peut-être même le plus grand de tous, et l'OSM l'a joué avec une virtuosité et une somptuosité absolues. Hélas! ce niveau pourtant très élevé ne suffit pas.

À l'OSM, certains chefs parvenaient à donner un sens à cet interminable déluge orchestral. On pense immédiatement à Franz-Paul Decker, titulaire de 1967 à 1975, décédé récemment, et dont ce concert honorait la mémoire. En comparaison, Nagano montre quelques idées, mais il ne parvient pas à convaincre pleinement. Dans Tod und Verklärung, il ne fait pas vraiment sentir le passage de l'agonie à la délivrance. Cette progression, Nézet-Séguin l'avait traduite alors qu'il débutait dans le métier. Quant à la confusion familiale que décrit la Domestica, elle se retrouve plutôt au sein de l'orchestre très augmenté. Dutoit lui-même, sans être un vrai straussien, avait évité le piège. Bref, la présente conception - si conception il y a - se maintient à peu près toujours au premier degré.

On en avait presque oublié le pianiste. Benjamin Grosvenor possède, à 22 ans, une technique étonnante. Et pourtant, on est presque continuellement conscient que le deuxième Concerto de Saint-Saëns est d'une atroce difficulté. C'est l'enfance de l'art: ce problème ne devrait en aucune façon être évident. L'application à jouer toutes les notes empêche précisément le jeune homme de s'engager dans ce qu'on appelle l'interprétation. Ce concerto exige de l'élégance, de la fantaisie, de l'imagination. Ces qualités, nous les avons eues avec Stephen Hough, Lise de La Salle et quelques autres. Cette fois, rien.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre: Kent Nagano. Soliste: Benjamin Grosvenor, pianiste. Mardi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Série «Grands Concerts». Reprise d'un concert donné dimanche après-midi.

Programme:

Tod und Verklärung, poème symphonique, op. 24 (1890) - Strauss

Concerto pour piano et orchestre no 2, en sol mineur, op. 22 (1868) - Saint-Saëns

Symphonia domestica, op. 53 (1904) - Strauss