Wow! C'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit en découvrant la salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm, à Québec, tout en bois d'érable sombre. Cette salle est si majestueuse qu'on y entre comme dans une église, mais on s'y sent au chaud et protégé comme dans un violoncelle. Wow! Mes trois heures de route depuis Montréal pour venir assister au concert des Violons du Roy et du pianiste français Alexandre Tharaud valaient déjà le déplacement.

Vous l'ai-je dit? Je ne connais pas grand-chose à la musique classique. Rien, pour être honnête. Je ne fais pas la différence entre un arpège, un adagio et un demi-ton diatonique. Mais surtout, je n'ai pas d'oreille. Jouez juste ou jouez faux, je ne suis pas convaincue que je ferais la différence, quoique... j'ai encore souvenir d'un légendaire couac échappé comme un rot au début d'un célèbre ballet dont je tairai le nom. Si je l'avais remarqué, c'est qu'il devait être remarquable.

Mais je ne suis pas non plus une parfaite inculte. Je vais au concert plusieurs fois par année. J'écoute du classique et pas seulement le dimanche matin. Le Sacre du printemps me renverse chaque fois que je l'entends et je peux même vous fredonner la Septième de Beethoven. Bref, ce foutu contre-emploi auquel m'a soumise maestro Nézet-Séguin n'en est pas entièrement un, quoique mon sens critique, habituellement bien aiguisé, me fasse défaut ici. La musique classique est la seule forme d'art que je consomme sans faire appel à mon jugement et c'est très bien ainsi.

Vous n'aurez donc pas droit à une critique à la Claude Gingras, mais à un compte rendu un brin impressionniste de l'heure et demie que j'ai passée au creux d'un magnifique violoncelle, mercredi après-midi. La salle pour ce premier concert de la saison des Violons du Roy (qui étaient à Montréal hier soir) était remplie de retraités. Qui d'autre a le temps d'aller au concert à ce moment béni de la journée? Je ne m'en plains pas. Au contraire. Parfois, j'ai juste peur que la vie culturelle québécoise soit entièrement entre les mains des gens d'un certain âge. Quand ils n'y seront plus, qu'arrivera-t-il?

Alors que je méditais sur l'avenir de la culture au Québec, les musiciens des Violons du Roy sont entrés en scène, se sont assis et, sans même prendre le temps de s'accorder, se sont lancés dans la Symphonie en ré majeur K 196/121 de Mozart. J'écris ces chiffres sans savoir ce qu'ils veulent dire. J'écris le nom du maestro Thomas Rösner, qui les dirige, en sachant qu'il est de Vienne mais en ignorant ce qu'il vaut.

L'effet Mozart

La symphonie de Mozart a gonflé doucement comme une grande voile et parce que je vais trop au cinéma, je me suis mise à voir des scènes de chasse en Bavière. J'ai vu aussi les personnages du Déclin de l'empire américain s'avancer les uns vers les autres sur l'herbe verte devant le Memphré. C'est l'effet de Mozart sur moi. Un effet cinéma.

La symphonie était courte. À peine un quart d'heure. Le maestro s'est éclipsé. Les techniciens ont roulé le Steinway et Alexandre Tharaud, dont j'avais oublié qu'il jouait son propre rôle dans Amour de Michael Haneke, est sorti. Mince, grand, veston étroit, souliers vernis, il a pris place au piano pendant que l'orchestre plongeait dans le Concerto pour piano no 2 de Beethoven. Le pianiste de 46 ans a attendu son «cue» pendant de longues minutes avant de déposer ses blanches mains sur le piano.

Que dire de son jeu? Il est tantôt délicat, doux et cristallin, tantôt furieux, intempestif, tantôt scolaire. Inégal, peut-être? Il plisse le front, serre les lèvres et lit la partition, ce qui m'étonne. Il ne la connaît pas par coeur?

On dit de ce concerto de Beethoven qu'il est post-mozartien et c'est vrai. Je le sais parce qu'au milieu de la pièce, j'ai commencé à cogner des clous comme mon voisin. Pas parce que le concert était plate. Parce que je ne suis pas très mozartienne. Et parce qu'une odeur de pot-pourri, de cannelle et de vieilles dentelles s'est mise à flotter dans l'air et à m'intoxiquer. À la fin du Beethoven, le public était debout, applaudissant à tout rompre le pianiste qui est parti vite comme s'il était gêné par tant d'enthousiasme.

Paysages émotifs

L'orchestre a alors entrepris, sans lui, la Symphonie no 5 de Schubert, composée alors que le compositeur n'avait que 19 ans. Et là, malgré l'odeur persistante de pot-pourri, j'ai pu embarquer dans cette pièce nettement plus intéressante, plus riche et plus dense, qui fait voyager à travers différents paysages émotifs et où l'on n'est pas toujours à la chasse à courre ou en train de gambader dans les champs avec Elvira Madigan.

Quant aux Violons du Roy, qui s'apprêtent à partir en tournée en Espagne, en France, en Allemagne et en Slovénie avec Tharaud et ce même programme, je les ai trouvés énergiques, allumés, «tight» au sens de précis et tranchants: bref, beaux à voir et à entendre. À un point tel que je me suis juré que la prochaine fois que les Violons du Roy passent à Montréal, j'irais les entendre avec d'autant plus de plaisir que je n'aurai pas de contre-emploi ni de compte rendu à faire après. Le bonheur, quoi.

Les Violons du Roy sont un de nos joyaux, et Alexandre Tharaud, depuis longtemps un grand amoureux du Québec, est aussi un ami en musique (nous avons joué ensemble il y a quelques mois à Londres). J'ai donc réussi à convaincre Nathalie d'aller au merveilleux Palais Montcalm pour son contreemploi. De toute évidence, elle ne l'a pas regretté...