Si la vie de pianiste de concert fait rêver à plusieurs égards, elle est aussi faite d'attente en coulisses, dans les chambres d'hôtel et les aéroports. D'attente et du désir des grands moments que réserve la musique. C'est ce côté méconnu de la vie d'Alexandre Tharaud que l'on découvrira dans un documentaire présenté ce soir au Cinéma du Parc en présence de l'artiste, à la veille d'un concert avec Les Violons du Roy à la Maison symphonique.

En octobre, les Violons du Roy et Alexandre Tharaud, qui vivent une histoire d'amour depuis des années, partiront ensemble pour une tournée européenne, où ils interpréteront le programme de leur nouveau disque consacré à Mozart et à Haydn. La tournée se fera sous la direction du chef Jonathan Cohen, en raison de la maladie de Bernard Labadie.

«Ce sera autre chose, tout simplement, dit Alexandre Tharaud. Mais c'est certain que ce sera un peu triste sans Bernard, parce que les Violons du Roy, ce sont ses enfants. Toute cette tournée sans lui ne sera pas comme on l'avait imaginée.»

La tournée visitera l'Espagne, la France, l'Allemagne et la Slovénie, pour une dizaine de concerts en tout.

Le temps dérobé

La visite de Tharaud au Québec est aussi l'occasion de présenter un documentaire sur ce musicien. Le temps dérobé, de la réalisatrice Raphaëlle Aellig Régnier, est un film en demi-teintes qui introduit le spectateur dans les coulisses de la vie de pianiste de concert. «La cinéaste m'a suivi pendant deux ans. À travers moi, le film montre ce que vivent tous les solistes, derrière la scène. C'est une vie qui peut être très difficile, mais pourquoi se plaindre? On a la liberté de faire autre chose. Il y a tellement de métiers plus difficiles. Les gens qui vont à l'usine et qui doivent se lever tous les matins à 4h, eux ils ont le droit de se plaindre. Nous, on fait un métier certes difficile physiquement et mentalement, mais dans cette vie, il y a des moments extraordinaires dont je ne pourrais me passer.»

Pour lui, le plus beau moment d'un concert est celui du lâcher-prise. «Ces quelques secondes où l'artiste est sur scène et où il a soudain l'impression de ne plus être qu'un maillon de la chaîne, que le concert se fait à plusieurs. S'il y a 2000 personnes dans la salle, avec moi, ça fait 2001, et l'énergie circule. On n'a plus besoin de contrôler.»

Ainsi est faite la vie d'un interprète: de grands moments et d'attente qui dure parfois des années.

«L'une des difficultés de cette vie de soliste, c'est l'anticipation. On doit savoir ce que l'on voudra jouer dans trois ans. Mais comment anticiper le désir? Pour ne pas tourner en rond, je dois programmer du nouveau répertoire pour l'avenir. Mais comment savoir si ce que j'ai envie de faire aujourd'hui, j'aurai encore envie de le faire dans trois ans? C'est un aspect délicat et difficile à gérer du métier.»

Sept ans, un disque

Avec les disques, cette relation avec le désir est différente.

«Je prépare mes disques pendant des années. Je sais déjà que ce que je vais enregistrer dans trois ans, je veux le faire depuis dix ans. Par exemple, mon premier concert du Jeunehomme [du nom de famille de la pianiste à qui Mozart a dédié son neuvième concerto], c'était il y a sept ans, avec les Violons du Roy et Bernard Labadie. À l'époque, j'avais déjà envie de l'enregistrer. Il sort ce mois-ci. Sept ans pour arriver à un disque, c'est pas mal!»

Mais pour le concert de demain, ce n'est pas Mozart mais bien Beethoven dont il interprétera un concerto pour piano, le deuxième. Une oeuvre faisant partie d'un corpus qu'il n'a pas encore eu l'occasion d'enregistrer.

«C'est certain qu'un jour, j'enregistrerai les cinq concertos de Beethoven. Mais il faut voir avec quel orchestre et avec quel chef pour avoir la combinaison idéale. Les cinq concertos de Beethoven, c'est un sacré projet!»

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Concert à la Maison symphonique, demain à 19h30. Projection du documentaire Le temps dérobé en présence du pianiste, ce soir à 19h, au Cinéma du Parc.