C'était l'un des rares concerts de notre terne saison estivale, tous «festivals» confondus, à justifier un déplacement. Et le résultat fut à la hauteur de nos attentes. Le jeune Quatuor à cordes Modigliani, de France, est une formation de première grandeur qu'on a hâte de réentendre.

Fondé en 2003 par ses membres actuels, et n'ayant donc pas connu les changements d'effectifs qui interviennent souvent en 10 ans, le Modigliani vient de faire ses débuts au Canada, après une dizaine de visites aux États-Unis. Il jouait vendredi au Domaine Forget et mardi à Lanaudière, dans la grande église historique de Mascouche où, encore peu connu, il n'avait attiré que 200 personnes. Il rentre aujourd'hui même à Paris mais reviendra en avril à la salle Bourgie, où il jouera notamment le rare troisième Quatuor de Dohnanyi.

Une autre rareté figurait au programme de Lanaudière: le premier des deux quatuors de Saint-Saëns. L'auteur de Samson et Dalila est venu tard au quatuor à cordes: il livra son premier à 64 ans et son second à 83! Mes archives me rappellent que les rarissimes exécutions locales de l'oeuvre laissèrent peu d'impression. Tout à l'opposé, le Modigliani croit fermement en cette musique et entraîne l'auditeur dans son aventure. Ce total engagement accompagnera d'ailleurs le troisième et dernier quatuor de Schumann et l'unique quatuor de Ravel qui, contrairement au Saint-Saëns, font partie du répertoire courant.

Bien que la réverbération de l'église peu remplie crée de la surcharge dans les «forte», les qualités intrinsèques du Modigliani restent toujours présentes, principalement la sonorité et la justesse de chaque instrument et la coordination des quatre archets. On imagine déjà ce que nous réserve la transposition à Bourgie!

La longue introduction en sourdine du Saint-Saëns découvre quatre coéquipiers entièrement habités par leur sujet, et qui le resteront jusqu'à la toute fin, deux heures plus tard. Au mouvement lent, on retrouve cette «grandeur beethovénienne» dont parlent les musicologues. Les musiciens le prennent, tel qu'indiqué, «molto adagio»; les phrases confiées au premier-violon y gagnent en intensité. Dans le même esprit, le finale se révèle des plus tourmentés.

Dans le Schumann, on souhaiterait un violoncelle chantant davantage le deuxième thème du premier mouvement (il rate trois occasions de le faire) et on aimerait le galop du finale encore plus rapide, plus véritablement «molto vivace». Quand même, l'ensemble se tient, on entend là un alto particulièrement éloquent et, surtout, le Modigliani rend pleinement convaincant un Adagio qui, entre des mains moins inspirées, peut être carrément soporifique.

Sur leurs précieux instruments de collection signés Guadagnini, Gagliano, Mariani et Goffriller, les musiciens poussent à leurs limites les raffinements sonores recherchés par Ravel. Il est possible d'aller encore plus loin dans l'expression. Le Ébène, compatriote et concurrent de l'ensemble qui nous occupe, parvint à ce niveau miraculeux lors d'un concert au LMMC en 2011. Il faut faire abstraction de ce cas isolé. En soi, le Ravel du Modigliani restait extrêmement précis, coloré, et surpassait ce qu'on entend habituellement. En rappel, le groupe joua un Chostakovitch: l'amusante Polka du ballet L'Âge d'or.

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QUATUOR À CORDES MODIGLIANI - Philippe Bernhard et Loïc Rio (violons), Laurent Marfaing (alto) et François Kieffer (violoncelle). Mardi soir, église Saint-Henri de Mascouche. Dans le cadre du 37e Festival de Lanaudière.

Programme:

Quatuor no 1, en mi mineur, op. 112 (1899) - Saint-Saëns

Quatuor no 3, en la majeur, op. 41 no 3 (1842) - Schumann

Quatuor en fa majeur (1904) - Ravel