Un autre chef associé à l'OSM vient de mourir. Après Franz-Paul Decker le 19 mai, à 90 ans, son successeur Rafael Frühbeck de Burgos s'est éteint mercredi à 80 ans.

Né le 15 septembre 1933 de parents allemands à Burgos, ville du nord de l'Espagne, Rafael Frühbeck ajouta à son nom celui de sa ville natale, conférant ainsi une sorte d'aura de noblesse à sa personnalité un rien hautaine. Mais il était normal qu'on l'appelle simplement Frühbeck.

Le disparu fut le sixième directeur artistique de l'OSM, mais celui au mandat le plus court: un peu plus d'un an. Après être venu comme chef invité dès 1967, il entra en fonction le 1er septembre 1975, avec contrat de trois ans. Mais il mit fin à celui-ci en décembre 1976 à la suite d'une crise dont j'ose affirmer qu'il fut l'instigateur.

Comme d'autres chefs avant et après lui, il voyait en Montréal une plaque tournante vers l'un des grands orchestres américains. Je le croisai un jour de la mi-février 1976 au sortir d'une répétition du Sacre du printemps de Stravinsky. Toujours un peu gauche, il me demanda «de ne pas être trop sévère pour les musiciens, qui ont travaillé très fort». Passons là-dessus. Ce jour-là, j'avais surtout remarqué qu'il semblait particulièrement triste. Et pour cause. Il venait d'apprendre que le Philadelphia Orchestra, où la rumeur le plaçait pourtant, avait choisi Riccardo Muti pour succéder à Eugene Ormandy.

Perdant tout intérêt pour l'OSM, il se permit, dans une longue interview publiée le 12 octobre 1976 et annoncée à la une du journal, des remarques désobligeantes à l'endroit de certains de ses musiciens. L'article parut pendant son absence, un enregistrement de Paulus, oratorio de Mendelssohn, l'appelant à Düsseldorf. À son retour, le 27 novembre, des musiciens lui remirent une lettre de protestation. Après l'avoir lue, il reprit l'avion le soir même et ne revint pas. Il annonça sa démission le mois suivant.       

L'OSM dut combler la saison avec sept chefs invités dont un jeune Suisse nommé Charles Dutoit. On sait le reste. Le nom de Frühbeck devint tabou à l'OSM et le resta pendant un quart de siècle. Un jour, comme par miracle, tout fut oublié. Le «déserteur» fut réinvité en 2002 et revint à quelques reprises jusqu'en 2012. Ces retours découvrirent un chef qui avait grandement évolué avec les années. Il n'était plus le spécialiste du répertoire espagnol qui nous avait inondés de cette musique, mais avait élargi son éventail et défendait avec autant de conviction les oeuvres allemandes, russes, françaises et italiennes.